L'hôpital Lariboisière est actuellement en train de connaître de grands changements avec le lancement du "Nouveau Lariboisière" qui bouleversera à terme la physionomie de cet établissement hospitalier parisien situé au Nord du dixième arrondissement à quelques mètres du carrefour Barbès ainsi que du quartier qui l'entoure. À cette occasion, nous consacrons une série estivale d'articles consacrés à l'histoire de l'hôpital Lariboisière en s'intéressant particulièrement aux bâtiments et à leur environnement urbain.
- Le Clos Saint-Lazare
- Le Versailles de la misère
- 1848 : La République chasse Louis-Philippe
- Une comtesse remplace la République
- Évolutions, extensions, rénovations...
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En février 1848, la France, en proie à une grave crise économique et sociale, connaît une nouvelle révolution. Le roi des Français, Louis-Philippe 1er, est contraint d'abdiquer. C'est la fin de la Monarchie de Juillet et la Deuxième République voit le jour. Malgré ce contexte de grande instabilité politique, les travaux de construction du nouveau grand hôpital parisien, l'hôpital Louis-Philippe dont la première pierre a été posée le 1er mai 1846, continuent tout de même d'avancer. Cependant, les journées insurrectionnelles de juin de cette même année vont venir interrompre le chantier, ce dernier devenant un des principaux bastions des insurgés.
Mais pour mieux comprendre ces évènements, il convient de remonter à leur origine, sans aller bien loin, puisque la Révolution de 1848 commence véritablement en 1847, à deux pas du futur hôpital Lariboisière... au Château Rouge !
1848
Le 9 juillet 1847, le Château-Rouge accueille le premier banquet de la Campagne des banquets, une série de réunions politiques déguisées en banquet, les réunions politiques étant alors interdites, qui se tiendront dans toute la France. Il s'agit notamment de promouvoir l'élargissement du corps électoral, la Monarchie de juillet ayant consacré le système censitaire pour désigner ses élus.
Le banquet du Château Rouge
Cette série de banquets va déboucher sur la Révolution de février 1848. En effet, du 22 au 25 février, Paris s'insurge, poussant Louis-Philippe 1er à abdiquer. La Seconde République est proclamée et le suffrage universel (masculin) est adopté. L'hôpital Louis- Philippe en construction est promptement renommé hôpital de la République.
La capitale compte alors un très grand nombre d'ouvriers paupérisés et sans travail, et d'ailleurs, avec ses centaines d'ouvriers, le chantier du nouvel hôpital est alors un précieux pourvoyeur d'emplois. Le nouveau pouvoir républicain met très vite en place les Ateliers nationaux à Paris, une mesure sociale pour permettre d'assurer un revenu à ces ouvriers inemployés.
"révolution de 1848"
Les Ateliers nationaux sont principalement affectés à des travaux de voirie, au pavage des rues en particulier. Mais bien vite, la mesure est victime de son succès et le nombre d'ouvriers qui se présentent aux Ateliers nationaux explose, passant de 25000 à 120000 hommes, et le travail manque. Le gouvernement prend différentes mesures pour maintenir un dispositif qu'il peine à financer, comme la baisse des rémunérations, par exemple. Finalement, au bout d'à peine quatre mois, les 20 et 21 juin 1848, la fermeture des Ateliers nationaux est décidée. C'est la fin de la république sociale. Les plus jeunes des ouvriers sont promis à un enrôlement dans l'armée tandis que les autres sont au mieux affectés à des grands travaux en province, au pire sont laissés sur le carreau. Mais la fin des Ateliers nationaux ne va faire qu'amplifier le mécontentement déjà présent chez les ouvriers, au point de déclencher une nouvelle révolte populaire à Paris.
Les Journées de juin, chronologie d'une révolte
Le Nord et l'Est parisien sont alors essentiellement ouvriers, offrant là un terrain très propice à une insurrection populaire. La fin des Ateliers nationaux va faire gronder ce Paris ouvrier, déclenchant une révolte restée dans la postérité sous le nom de Journées de juin. Faisons un retour sur ces journées en nous focalisant sur les quartiers qui nous intéressent, ceux qui environnent le chantier de l'hôpital de la République.
L'Assemblée nationale vote la dissolution des Ateliers nationaux et la Commission exécutive entérine la décision.
On signale des scènes d'agitation à travers la capitale et dans ses faubourgs. les Parisiennes et les Parisiens des quartiers populaires sont dans la rue. Les premières émeutes voient le jour.
C'est le début de la révolte populaire, des barricades sont érigées dans les rues de Paris, en particulier dans les quartiers de Saint-Jacques, Saint-Martin et Saint-Denis pour s'étendre à tout l'Est parisien, plus de 400 barricades sont érigées dans les rues parisiennes. Le mouvement est très durement réprimé par l'armée dirigée par le général Cavaignac. Mais les mouvements reprennent et s'étendent. Friedrich Engels suit ces évènements avec la plus grande attention et publie quotidiennement dans le journal Neue Rheinische Zeitung en donnant beaucoup de détails sur le déroulé des évènements. Il écrit à ce propos : "La ville était divisée en deux camps. La ligne de partage partait de l'extrémité nord-est de la ville, de Montmartre, pour descendre jusqu'à la porte Saint-Denis, de là, descendait la rue Saint-Denis, traversait l'île de la Cité et longeait la rue Saint-Jacques, jusqu'à la barrière. Ce qui était à l'est était occupé et fortifié par les ouvriers ; c'est de la partie ouest qu'attaquait la bourgeoisie et qu'elle recevait ses renforts."
Le soir, la caserne des Gardes nationaux de la rue du faubourg Poissonnière (celle qui donna son nom à la rue des Gardes dans la Goutte d'Or) est attaquée par les insurgés. Ces derniers contrôlent les quartiers situés de la Porte Saint-Denis au débarcadère du Nord (la gare du Nord) jusqu'aux villes des faubourgs, comme La Chapelle (actuels quartiers administratifs de la Chapelle et la Goutte d'Or). Il va sans dire que le chantier de l'hôpital au cœur des émeutes est interrompu.
"Plan des barricades dressées à Paris pendant l'Insurrection de juin 1848"
Redonnons la parole à Engels pour décrire cette journée : "Dans le haut du faubourg Saint-Denis, un violent combat commença le matin. Les insurgés avaient occupé dans le voisinage de la gare du Nord une maison en construction et plusieurs barricades. La première légion de la garde nationale attaqua sans remporter toutefois d'avantage quelconque. Elle épuisa ses munitions et eut près de cinquante morts et blessés. A peine put-elle conserver sa position jusqu'à l'arrivée de l'artillerie (vers 10 heures) qui rasa la maison et les barricades. Les troupes réoccupèrent la ligne du chemin de fer du Nord. La lutte dans toute cette contrée se poursuivit cependant encore longtemps et fut menée avec un grand acharnement. « C'est une véritable boucherie », écrit le correspondant d'une feuille belge. Aux barrières Rochechouart (actuel carrefour Rochechouart/Gérando) et Poissonnière (actuel carrefour Barbès) s'élevèrent de fortes barricades ; le retranchement près de la rue Lafayette fut rétabli également et ne céda que l'après-midi aux boulets de canon. (...) Le général Lamoricière, malgré une violente résistance, avait dégagé les faubourgs Poissonnière, Saint-Denis et Saint-Martin jusqu'aux barrières. Les ouvriers ne tenaient encore que dans le Clos Saint-Lazare ; ils s'étaient retranchés dans l'hôpital Louis-Philippe (sic).
"L'ancien clos Saint-Lazare en 1848"
Plus loin, il écrit : "Le Clos Saint-Lazare (d'un ancien monastère) est une grande étendue de terrain en partie bâtie, en partie couverte seulement de maisons inachevées, de rues tracées, etc. La gare du Nord se trouve exactement en son milieu. Dans ce quartier riche en bâtisses inégalement disposées et qui renferme en outre quantité de matériaux de construction, les insurgés avaient construit une forteresse formidable." Il convient ici de faire une digression pour corriger une erreur qu'Engels commet quant au clos Saint-Lazare. En effet, comme de nombreux autres commentateurs, l'ami de Karl Marx se trompe en localisant l'hôpital de la République, qu'il nomme à tort Louis Philippe, dans le clos Saint-Lazare et en y situant la gare du Nord en son milieu. Car, comme nous l'avons vu dans les épisodes précédents, les limites de ce clos s'arrêtaient avant l'hôpital (la rue Ambroise Paré suit le tracé du mur Nord de l'enclos), et la gare du Nord se situe non pas en son milieu mais à l'angle Nord-Est de l'ancienne enceinte monastique. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette confusion, à savoir que ces terrains hors clos lui étaient historiquement liés, mais surtout que la présence du mur des Fermiers généraux qui court au Nord et l'enceinte de l'hôpital, érigée en premier lieu comme nous l'avons vu précédemment, peut donner l'illusion d'un enclos plus ancien. Néanmoins, une partie des combats se sont bien déroulés dans la partie Nord de l'ancien clos de Lazaristes.
"Combat du clos St Lazare"
Le matin, les insurgés tiennent toujours le Marais, les faubourgs Saint-Antoine et du Temple, Montmartre et l'ancien clos Saint-Lazare et ses environs. L'hôpital de la République, tout du moins la seule partie déjà construite, à savoir le pavillon de façade côté Ouest, sert de bastion central. Les pierres du chantier sont utilisées à créneler les murs d'enceinte de l'hôpital et le Mur des Fermiers généraux est percé de meurtrières.
"Prise de la barrière de la Chapelle St Denis"
Durant toute la journée les combats vont être acharnés et meurtriers, l'armée tire à l'aide de quarante canons sur Montmartre et l'ancien clos et l'hôpital en construction.
Dans le faubourg Saint-Antoine, l'archevêque de Paris Denis Affre monte sur une barricade lors d'une trêve pour parler à la foule et tenter une conciliation entre les belligérants. Mais dans la confusion les tirs reprennent, une balle perdue atteint l'archevêque qui succombera deux jours plus tard ; on ne sait pas bien de quel côté est venu le tir peut-être accidentel. Une rue de la Goutte d'Or lui sera dédiée en 1864.
En fin de journée, les insurgés sont défaits. Le chantier de l'hôpital et ses environs sont jonchés de centaines de cadavres. Peu à peu, les derniers bastions des insurgés sont vaincus, seul le faubourg Saint-Antoine résiste encore.
"Barrière poissonnière. Poursuite des Insurgés dans le clos St-Lazare"
La dernière barricade du faubourg Saint-Antoine tombe. À l'issue de trois jours d'insurrection, on compte plus de 4000 morts du côté des insurgés et 1500 du côté des forces de l'ordre. C'est la fin des Journées de juin, une révolte populaire réprimée dans le sang.
Après ce terrible épisode, le chantier de l'hôpital de la République reprend assez rapidement son activité avec en plus de nombreux travaux de réparation des dégâts causés par les violents combats.
à suivre...