L'hôpital Lariboisière est actuellement en train de connaître de grands changements avec le lancement du "Nouveau Lariboisière" qui bouleversera à terme la physionomie de cet établissement hospitalier parisien situé au Nord du dixième arrondissement à quelques mètres du carrefour Barbès ainsi que du quartier qui l'entoure. À cette occasion, nous consacrons une série estivale d'articles consacrés à l'histoire de l'hôpital Lariboisière en s'intéressant particulièrement aux bâtiments et à leur environnement urbain.
- Le clos Saint-Lazare
- Le Versailles de la misère
- 1848 : La République chasse Louis-Philippe
- Une comtesse remplace la République
- Évolutions, extensions, rénovations...
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Face à l'accroissement de la population parisienne et surtout suite aux épidémies de choléra de 1832 et 1839, le préfet de Paris et le Conseil des hospices émettent le vœu de la construction d'un grand hôpital au Nord de la capitale : l'Hôpital du Nord. Le Conseil de Paris vote le principe de la création d'un nouvel hôpital le 6 juin 1839, mais il faut attendre 1844 pour que la municipalité vote sa mise en œuvre. L'emplacement pressenti dans l'ancien clos Saint-Lazare est alors confirmé. En cette période de Monarchie de Juillet, le nom du futur hôpital devient Hôpital Louis-Philippe en 1841.
Un hôpital modèle
Il est décidé que le futur établissement de 600 lits devra répondre aux préceptes édictés par le chirurgien Jacques Tenon pour la construction d'un hôpital modèle, qu'on retrouve en particulier dans son ouvrage "Mémoire sur les hôpitaux de Paris" (1788), avec notamment une distribution en pavillons séparés. Des principes eux-mêmes inspirés notamment du britannique Royal Naval Hospital de Plymouth, construit de 1758 à 1765.
Royal Naval Hospital, StoneHouse, Plymouth
Dans le livre de Nicolas Clavareau, "Mémoire sur les hôpitaux civils de Paris", paru en 1805, un plan d'hôpital modèle qui s'inspire de Tenon (voir plan ci-dessous). Dans cette configuration, les pavillons sont disposés "en peigne" autour d'une cour centrale, une disposition qui n'est pas sans rappeler celle de Lariboisière. Le principe des pavillons séparés et organisés par spécialité médicale doit permettre de juguler les nombreuses contagions qu'on observe alors dans les hôpitaux.
"Plan d'un hôpital disposé pour recevoir deux mille malades"
C'est précisément ce dispositif pavillonnaire qui avait été déployé à l'hôpital Beaujon (voir plan ci-dessous), mais dans une envergure moindre (l'hôpital Beaujon se trouvait alors au 228 rue du Faubourg Saint-Honoré ; il déménagera à Clichy en 1935).
Une fois l'emplacement et le type de construction déterminés, il ne restait plus qu'à mettre le projet dans les mains d'un architecte pour que l'hôpital modèle se concrétise. Une querelle s'engage alors entre la municipalité parisienne d'un côté et la préfecture et le Conseil des hospices de l'autre, la première reprochant aux autres le choix d'un architecte de l'administration sans avoir eu recours à un concours d'architecture. Plusieurs plans sont proposés (voir ci-dessous), dont celui de Marchebœus qui est particulièrement remarqué. Mais c'est finalement le projet de l'architecte Martin-Pierre Gauthier qui est retenu et sera mis en œuvre.
Projets pour l'hôpital du Nord, non retenus
Extrait du plan Andriveau Goujon, 1850
Le Versailles de la misère
L'hôpital imaginé par Gauthier se compose de dix pavillons surmontés de deux étages, six consacrés aux malades (les femmes à l'Ouest et les hommes à l'Est) et les autres aux services connexes (buanderie, administration, cuisines...). L'ensemble s'organise autour d'une cour intérieure au fond de laquelle se dresse le clocher de la chapelle.
Le projet de Gauthier commence à voir le jour au début de l'automne 1846, en commençant par le mur de clôture (dont il reste quelques vestiges le long du boulevard de la Chapelle; ce reste du mur d'origine est appelé à disparaître bientôt à l'occasion des travaux du Nouveau Lariboisière. Deux nouvelles rues sont tracées pour encadrer l'hôpital Louis-Philippe qui commence lentement à émerger.
Journal des débats politiques et littéraires, édition du 10 juin 1846
L'hôpital dessiné par Gauthier est un bâtiment qui va opérer une véritable rupture avec les hôpitaux construits jusque-là. D'une part, comme nous l'avons vu plus haut, par la disposition des bâtiments mais également par la qualité de la réalisation. En effet, les hôpitaux étaient jusqu'alors des bâtiments austères, construits avec des matériaux de qualité relative. Il faut rappeler que les hôpitaux d'alors s'adressaient aux seuls indigents, les plus riches se faisant soigner à domicile, la question de la qualité architecturale ne se posait même pas. Ici, l'architecte a particulièrement soigné les détails ornementaux de son projet, comme en attestent encore aujourd'hui, par exemple, le fronton sculpté par Jules Girard (1861) visible de la rue Ambroise-Paré, ou encore la façade de la chapelle (voir gravure et photos ci-dessous). L'hôpital modèle est non seulement fonctionnel et sain mais il est aussi joli: on guérit mieux dans un bel endroit. Le chirurgien Malgaigne qui vouait une haine farouche au projet surnomma l'hôpital à cet égard, et non sans un mépris certain, "le Versailles de la misère".
Présentation du fronton sculpté par Girard, 1861
Le fronton sculpté par Girard (juillet 2018)
Détail de la façade de la chapelle de l'hôpital Lariboisière (juillet 2018)
En juillet 1847, une rumeur s'empare du chantier et du quartier, on aurait trouvé un baril d'or dans le chantier du nouvel hôpital et il y aurait encore des trésors cachés dans le sol de l'ancien clos Saint-Lazare, ouvriers et habitants se mettent alors à chercher frénétiquement le soi-disant trésor. Cette rumeur n'est qu'une des nombreuses qui ont couru à travers l'Europe après qu'on ait découvert, réellement cette fois, deux barils remplis d'écus d'or dans un chantier à Bruxelles. |
Ce chantier titanesque, mené principalement par l'entreprise de monsieur Lemaire, va employer simultanément de cinq cents à huit cents ouvriers pendant sept années. La construction va bon train, les bâtiments de façades étant presque achevés durant l'été 1847. Mais le chantier va bien vite être interrompu par rien de moins que la Révolution de 1848 à qui il va servir de théâtre sanglant.
Commentaires
Passionnant, merci !
Félicitations et un grand merci pour cette passionnante histoire de l'hôpital Lariboisière très documentée. Mais rendons à César ce qui lui appartient: l'appellation " Versailles de la misère" a été employée comme sous-titre de l'hôpital dans son livre sur Lariboisière publié par le professeur Jean-Paul Martineaud chez l'Harmattan en 2000. Jean-Paul Martineaud fut non seulement une sommité médicale mais aussi histo rien, membre actif du CA d'Histoire et Vies du 10e, il nous a laissé plusieurs études historiques passionnantes sur divers sujets.
Merci pour cet article. Hâte de lire la suite.