Comme nous vous l’avons annoncé samedi dernier, nous commençons aujourd’hui notre série de trois articles consacrés aux trois arrondissements qui nous concernent, à savoir les 9e, 10e et 18e.
Nous commençons aujourd’hui par le 10e.
Pour parler des questions spécifiques à cet arrondissement, nous avons rencontré Déborah Pawlik, Rémi Féraud, et Anne Souyris, respectivement tête de liste UMP-UDI-MoDem, PS-PCF-PRG et EELV.
- Salle de consommation de drogues à moindre risque (SCMR)
S’il y a un sujet sur lequel les oppositions sont frontales, c’est bien celui là. « Je vais vous répondre très clairement. Il y a des sujets sur lesquels nous ne pouvons pas nous retrouver » commence Déborah Pawlik en introduction de sa réponse à notre question. « Mais en revanche il y a un sujet sur lequel, je pense on se rejoint, c’est qu’il faut faire quelque chose par rapport à la question de la drogue dans nos arrondissements. Le 10e en priorité mais aussi sur les arrondissements limitrophes. J’ai une position extrêmement pragmatique qui a été caricaturée. C’est le jeu de la politique » continue-t-elle. Et de préciser sa pensée « La toxicomanie est accident de vie, cela peut arriver à tout le monde. Les toxicomanes, pour moi, n’ont pas besoin d’être enfoncés. Le problème avec cette SCMR, c’est qu’on ne les aide absolument pas à sortir de leur dépendance en leur permettant d’aller se droguer dans cette salle. Je suis moi-même allée les rencontrer. Ils nous disent que pour eux c’est difficile à assumer que, quand ils vont arriver dans cette salle il faut montrer patte blanche, on va prendre leur identité. C’est difficile à accepter » ajoute-t-elle. Sur l’impact local d’une telle structure, les propos de la tête de liste UMP sont tout aussi clairs : « Le boulot d’un maire c’est que la population vive dans des conditions qui soient sécurisées ? Je ne comprends pas qu’il puisse y avoir une zone de non droit. Si vous avez une SCMR, vous aurez forcément des dealers à côté, ou alors il y a des choses que je n’ai pas comprises. C’est un circuit économique qui est réel ». Et d’ajouter « C’est ce qui se passe dans les pays étrangers. Il y a donc des zones d’ombre donc le projet est inenvisageable : ce n’est pas la solution pour les toxicomanes, ce n’est pas non plus le message que j’ai envie d’envoyer à la société, à mes enfants " il y a un lieu où vous pourrez aller vous droguer" ». Elle précise ensuite ses propositions « Il faut lancer une concertation, avec les riverains, les commerçants sont concernés, ils sont inquiets, avec des experts de toutes tendances, une diversité d’avis pour construire ensemble une solution. Cela concerne tous les arrondissements de Paris mais il faut que le 10e en prenne sa part à cause de la présence de la Gare du Nord. C’est un lieu prédisposé à l’arrivée des stupéfiants. Installation d’une structure en dur avec les inconvénients liés mais dans l’hôpital Lariboisière et une structure mobile de manière à ce que les riverains ne stigmatisent pas les toxicomanes. Différente de la structure mobile de GAIA dont l’efficacité n’est pas prouvée sinon on n’aurait pas proposé cette salle de shoot ».
Rémi Féraud préfère lui insister sur l’impact dans le quartier de cette SCMR, considérant que « le travail de pédagogie a été fait, au maximum et au mieux de ce qui pouvait être fait ». « Je ne veux pas remettre le débat sur le tapis si la loi n’a pas changé » précise-t-il. Pour lui, « seule l’ouverture de la salle peut calmer les inquiétudes ». « Les gens ont l’impression qu’on amène chez eux un problème qui n’existait pas. Il n’y a pas d’opposition de principe au projet, il n’y a que de l’effet NIMBY. J’essaie de rassurer les gens ».
Si les écologistes sont d’accord sur le principe d’une SCMR, Anne Souyris déclare « Nous, on pense qu’il y aurait du avoir une concertation préalable beaucoup plus importante que ce qui a été fait. En particulier avec les associations de riverains qui ont quand même beaucoup évolué dans le temps et donc cela montre que plus il y a de la concertation, plus on peut, même sur des sujets aussi délicats que celui là, arriver à instaurer les choses ». Et de conclure « Concrètement cela veut dire qu’il faut faire de la pédagogie en amont du projet. Souvent le PS ne croit pas beaucoup à la concertation préalable et ils le font une fois qu’ils ont décidé quelque chose. Il faut prendre les choses très en amont pour éviter les effets NIMBY par exemple. Donc, oui à la SCMR, oui à la pédagogie et la prochaine fois le préparer en amont ».
« Sujet fort, prégnant, qui nécessite une vision d’ensemble » attaque Déborah Pawlik. « Le souci est que Paris a totalement chassé les classes moyennes de l’intérieur de la capitale. Elles sont parties en banlieue. Dès lors que vous avez un deuxième enfant qui arrive quand vous habitez le 10e, et bien vous partez. On atteint des loyers très hauts, un trois pièces qui fait 70m², c’est a minima 1800€ » continue-t-elle. « Le principal problème du logement social aujourd’hui est l’absence totale de rotation. 5.4% de rotation par an. Quand les enfants sont partis, il n’est pas normal que vous continuiez à occuper un quatre pièces. Il faut faire tourner le parc immobilier, construire un parc intermédiaire. Quand vous avez du tout privé et du tout social, il manque un chaînon ». « Dans notre projet parisien il y a deux choses très importantes. Le premier est la transparence. Aujourd’hui on est incapable de savoir comment sont attribués les logements sociaux. Il faut remettre le Parisien au cœur de l’attribution des logements sociaux. Pour les critères d’éligibilité, il n’est pas normal qu’une infirmière de Lariboisière qui finit le soir à 22h et reprend le lendemain à 7h doive faire 2 heures de transport en commun parce qu’elle n’a pas les moyens de se loger à Paris. Idem pour les personnels de crèche, … ça c’est le deuxième point » conclut-elle.
A propos des logements sociaux et en terme de bilan de sa mandature, Rémi Féraud indique « Les 13.5% de logements sociaux annoncés sont ceux financés, les 12% sont les logements livrés ». « Le droit de préemption reste notre approche même si ce n’est pas notre seule approche. On va continuer à acheter des immeubles en vente comme celui de la rue Saint-Vincent-de-Paul. Dans ce quartier, si on veut faire du logement social, c’est bien en achetant des immeubles existant. Ça peut être de la préemption, ça peut être du rachat à l’amiable. Le compte foncier de la Ville le permet. Aujourd’hui nous sommes à 7000 logements sociaux par an à Paris. L’objectif d’Anne Hidalgo est 10 000 avec des partenaires privés qui accepteraient de construire du logement intermédiaire moins cher. On aurait un parc institutionnel privé, un peu plus cher que le logement social. Cela pourrait représenter un tiers des logements à créer. C’est une disposition concrète pour la classe moyenne. Des logements un peu en dessous de 20€ le m² ». Et de conclure « Le logement social est là pour compenser la montée des prix due à la boboïsation ».
Sur le sujet des logements, Anne Souyris est mordante « A chaque fois qu’on fait du logement social, ce n’est pas du logement social au sens strict, c’est du logement intermédiaire. Le logement social est fait pour les gens qui ont un petit salaire et qui sont obligés de partir. C’est aujourd’hui 80% des demandes or il n’y a même pas 20% qui sont faits pour eux. Il y a 80% de demandes qui sont très sociales et il y a à peine 20% de logements très "social". Il faudrait arriver à faire rejoindre les deux bouts pour parler de mixité sociale, sinon, ce n’est pas vrai ». Elle précise « On n’est pas pour la construction mais l’achat en milieu diffus du parc privé. Plutôt que de faire de grands paquebots, il faut acheter dans l’habitat existant et aussi participer au parc locatif privé. Il faut prendre garde à ne pas augmenter la densité et remplir les dents creuses où on pourrait mettre un peu de verdure.
Il y a aussi toute la question des bureaux vides qui se pose. La politique de la Ville de Paris qui a été de faire des bureaux qui sont restés vides et cela créé de la pénurie de logements. Il y a là aussi une inversion à faire, du logement là où il y a du bureau vide ».
- Marché des biffins ou « marché de la misère » sous le viaduc du métro
Si cet espace sous le métro aérien est formellement sous la responsabilité du 18e arrondissement, il est clair que l’impact sur le 10e n’est pas négligeable. Aussi avons-nous interrogé les candidats sur ce sujet sensible.
« C’est un sujet préoccupant depuis plusieurs années, trois ans ? Oui, trois ans.
Sur ce marché il y a plusieurs problèmes. Le premier et c’est un problème que l’on rencontre dans d’autres endroits du 10e, c’est la vente à la sauvette. Sur cette question là il faut être ferme, y mettre les moyens policiers nécessaires pour la verbalisation » commence Déborah Pawlik. Elle ajoute « La vente à la sauvette est ce qui dégrade un environnement économique. Il est important de préserver les commerçants qui se battent pour leur quotidien ».
Rémi Féraud semble plus fataliste à court terme et dit qu’une action de fond sur le long terme pourrait être une solution « Il n’y a pas de solution. Je ne crois pas à l’installation d’un marché de biffins organisé dans le quartier. On n’a pas l’espace pour cela. Ces marchés de la misère sont organisés avec des réseaux et il faut lutter contre ces réseaux. Il faut que dans le quartier se créé un groupe local contre la délinquance, le Parquet est mobilisé. J’ai demandé que la lutte contre les réseaux soit dans la priorité de ces groupes ».
A contrario, l’écologiste Anne Souyris déclare « Sur le 10e il devrait y avoir plusieurs espaces avec une réglementation pour des personnes qui vendent des choses ». Elle précise « Il faut mettre en place plusieurs emplacements déjà dans Paris et peut être en première couronne comme à Porte de Vanves. Ce qui fait qu’aujourd’hui ça ne marche pas, c’est qu’il n’y a que le carré dans le 18e. Plus il y a non gestion, plus ça se complexifie. Donc déjà ayons une approche plus large : mettons en place plusieurs espaces en même temps ce qui permettra d’absorber deux ou trois mille vendeurs sur Ile de France, et il peut y avoir plusieurs types de gestion : celui du 18e, des endroits plus autogérés, on peut ainsi calmer un peu le phénomène. Quoiqu’il en soit, il faut des règles. Ça va être sur la nature de la marchandise, marchandise volée, alimentation. Il doit y avoir des contrôles. Il faut accepter que c’est une économie de la survie ».
- Démocratie locale – conseils de quartier
Comment relancer la dynamique des Conseils de Quartier (CQs) qui semble s’essouffler ? Telle est la question.
« Il faut refaire des riverains des acteurs de leur arrondissement » commence Déborah Pawlik. « Les CQs étaient faits pour inclure les habitants dans la vie locale. Très bien. Le problème c’est que ces CQs sont des mini instances de la municipalité. Pour moi, aujourd’hui, les CQs sont trop copie conforme de la municipalité. L’espace d’expression est réduit. Dans notre projet, les conseils de quartier ne seront pas partisans. Des gens de gauche doivent pouvoir être à la tête de CQ.
Les gens se réinvestiront dans leur quartier s’il y a une information simple. Les CQs ne doivent pas être des relais des faits et gestes de la municipalité. C’est de la vie de quartier ».
Rémi Féraud semble partager notre point de vue et précise « On a la même impression. On n’a pas d’idée miracle. La crise à partir de 2008 a joué négativement sur la démocratie locale, les gens se replient sur des enjeux personnels. Je l’ai ressenti comme cela. Les gens ont du mal à s’inscrire dans des projets qui prennent du temps. On a l’impression parfois que venir au CQ ne sert à rien. Et puis il y a des équipes d’animation qui savent plus ou moins faire participer les autres .Quand il y a un projet majeur, les gens viennent (Louxor, place de la République). Il y a des effets de lassitude.
Anne Hidalgo veut faire des CQs un partenaire des contrats locaux de sécurité, du suivi de l’évaluation de la propreté. Il faut que les gens viennent aux CQs pas seulement avec l’idée de râler. Comme l’équipe municipale sera un peu plus étoffée, l’idée est d’avoir un référent par quartier avec un meilleur suivi ».
Il n’est pas surprenant qu’Anne Souyris ne partage pas l’avis de Déborah Pawlik à propos de l’indépendance des CQs, tant les écologistes ont été en pointe lors de leur mise en place dans le 10e. Elle déclare « Dans le 10e s’est maintenue une dynamique due à une charte importante, bien faite, qui fait qu’il y a une autonomie des CQs. Il y a malgré tout des efforts à faire, en particulier, que les CQs puissent avoir un budget propre utilisable. Les actuels budgets ne sont pas utilisables. Souvent cet argent reste non dépensé. Il faut que les CQs soient porteurs de projets sur les quartiers. Ils doivent aussi être beaucoup plus consultés, demander leur avis sur les projets, et pas seulement a posteriori comme cela s’est fait jusqu’à maintenant. On défend l’idée d’un budget participatif, que les CQs soient porteurs d’une partie des budgets de la ville. Enfin, faire le bilan des bonnes pratiques. Les CQs doivent être des vrais partenaires avec les institutions. Il faut les voir comme de vrais experts de l’usage de la ville. Reconnaître leur expertise.
La loi de 2002 qui instaure les CQs est en rupture avec l’histoire démocratique française. Les habitants n’avaient pas d’expérience. Chacun a appris. On se retrouve au bout de 10 ans avec un essoufflement. La responsabilité des élus est énorme parce qu’ils n’y ont jamais cru. Est-ce qu’on peut reprocher aux habitants de faire ce qu’ils savaient faire ? Ils n’avaient pas le langage, pas les moyens de s’impliquer. On est à la fin d’un premier cycle ».
Deux autres sujets très importants ont aussi fait l’objet d’échanges avec les candidats.
Il s’agit en premier lieu de la rénovation du boulevard de La Chapelle sous le viaduc du métro aérien qui pourrait devenir une "promenade urbaine" de Barbès à Stalingrad. Action Barbès a déjà beaucoup travaillé sur le sujet par le biais d’une commission formée par certains de ses adhérents et spécialement dédiée au sujet.
Il s’agit, en deuxième lieu, du projet de réaménagement des abords de la Gare de l’Est et du quartier des deux gares en général.
Ces deux sujets feront l’objet d’articles séparés.