Pour nous tenir informés des dernières nouvelles relatives aux circulations dites douces, nous lisons régulièrement un site consacré à la vie sans voiture.... un peu utopique, sans doute, mais plein de bonnes idées, et de réflexions intéressantes. C'est CARFREE, qui rayonne sur le monde francophone, Belgique, Suisse, Québec... Nous vous le conseillons.
Nous avons récemment croisé un article sur l'influence que pourrait avoir l'instauration de la gratuité des transports en commun — qui toutefois n'est pas en discussion en Ile-de-France à notre connaissance ces temps-ci — sur les autres modes de circulation douce, essentiellement la marche et le vélo. A priori on pourrait penser que le bus gratuit supprimerait la tentation d'utiliser la voiture.... il n'en est rien, semble-t-il, car 1- celui qui prend sa voiture ne regarde pas trop au coût ou n'a pas de réseau rapide à sa disposition et 2- le nombre des bus pourrait-il absorber un surplus de voyageurs ?
Par ailleurs, nous avons pris l'avis d'un autre spécialiste qui ajoute que l'usager ne règle que 17% du coût réel de son trajet en transport en commun en moyenne, parfois même seulement 50% de cette somme grâce à la prise en charge partielle par l'employeur. Pour attirer plus d'usagers dans les transports en commun il faut en fait les rendre plus attractifs et non gratuits. Et laisser le vélo et la marche contribuer à la bonne santé des marcheurs et des cyclistes...
Nous vous laissons lire ci-dessous l'article de Frédéric Héran qui nous autorise à le publier sur notre blog, il est beaucoup plus convaincant et son argumentation est étayée !
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Pour construire une politique de déplacements urbains cohérente, il faut réussir à articuler efficacement l’ensemble des modes de déplacement. Or les modes ne sont pas égaux entre eux. Certains sont plus forts que d’autres : prennent beaucoup plus de place (par personne transportée), sont beaucoup plus dangereux parce qu’ils sont lourds et roulent vite, génèrent bien plus de bruit ou de pollution. Si on laisse faire, les plus forts chassent les plus faibles.
Le premier principe est donc de commencer par donner la priorité aux faibles. Or, ceux-ci ne sont ni les transports publics, ni les cyclistes, mais les piétons. C’est pourquoi, la ville doit être construite d’abord autour du piéton. Tous les autres modes de déplacement ne sont que des relais du piéton, des prothèses pour lui permettre d’élargir son horizon.
Parmi ces prothèses, le vélo est d’une efficacité redoutable. Avec ce simple exosquelette, peu coûteux, utilisant peu de matériaux et respectueux de l’environnement, le piéton augmenté va déjà trois à quatre fois plus loin ou couvre un territoire douze fois plus grand, avec la même énergie dépensée. Une solution déjà très satisfaisante pour les villes moyennes plates.
Même par personne transportée, le bus utilise déjà beaucoup plus de matériaux et génère bien plus de nuisances. Il ne fait pas bon circuler à pied ou à vélo à proximité d’un bus qui déboule. Comparé au coût des aménagements cyclables, le coût des transports publics pour la collectivité est très supérieur. Et surtout, comme l’expliquait si bien Ivan Illich dans Énergie et équité (1973), la marche et le vélo ont le mérite de laisser à l’usager toute son autonomie, au contraire du transport public et de la voiture qui le rendent dépendant d’une technique qu’il ne peut maîtriser. On sait en plus aujourd’hui que la pratique régulière des modes actifs est excellente pour la santé.
Quand les transports publics deviennent gratuits, le mode de déplacement le plus concurrencé est toujours le vélo, puis vient la marche et loin derrière la voiture. Quelques constats permettent de le comprendre. Les automobilistes sont déjà prêts à payer leurs déplacements bien plus chers qu’en transport public : cela ne les intéresse guère de bénéficier de transports publics deux fois moins rapides, même gratuits. Dans les villes moyennes d’Europe où la pratique du vélo est très développée, les transports publics le sont au contraire beaucoup moins. À Strasbourg, dans les années 1970-1980, la part modale du vélo a moins baissé qu’ailleurs en France, parce que les transports publics étaient particulièrement indigents dans cette ville occupée alors à débattre interminablement du choix entre un tramway ou un métro. À Dunkerque, les cyclistes préfèreraient de beaucoup que l’argent prévu pour rendre les transports publics gratuits soit investi directement dans la modération du trafic automobile et les aménagements cyclables, plutôt que dans un concurrent direct du vélo.
Bref, la gratuité des transports publics semble être une solution démocratique, voire même anticapitaliste. Mais de façon plus pragmatique, elle empêche ou freine l’essor des modes actifs et notamment du vélo, et contraint les habitants à dépendre toujours plus de solutions techniques qui les dépassent. Si l’on tient à se libérer de l’emprise de la voiture, alors privilégions d’abord les piétons, puis les cyclistes et enfin les transports publics. Et pour cela, la meilleure solution consiste à calmer le trafic automobile, sa vitesse et son volume. C’est ce que nous enseigne l’histoire européenne des politiques de déplacements urbains.
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Frédéric Héran est économiste des transports et urbaniste, auteur du livre Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe de 1817 à 2050, La Découverte, 2014, qui vient de sortir en poche à 10 €.