Nous continuons la publication de nos articles par arrondissement avec aujourd’hui le troisième et dernier volet de cette série et consacré au 18e.
Nous avons rencontré Pierre Yves Bournazel, Eric Lejoindre et Pascal Julien, respectivement tête de liste pour UMP-UDI-MoDem, PS-PCF-PRG et EELV. Le candidat socialiste était entouré de Daniel Vaillant, actuel maire du 18e et de Myriam El Khomri, adjointe au maire de Paris chargée de la sécurité.
A la différence des autres entretiens que nous avons eus dans le 9e et le 10e, ceux faits avec les candidats du 18e sont plus informels et n’ont donc pas une structure qui permet de comparer avec autant de précision les déclarations sur un même sujet...
Marché des biffins
Pour le candidat UMP, le marché des biffins sous le viaduc à Barbès est le résultat d’une paupérisation de la population. Il y a à cet endroit une concentration des difficultés qui demande un traitement dans la durée, en concertation avec les acteurs locaux comme les associations mais aussi les riverains. Se pose la question du maintien du marché alimentaire sous le viaduc, selon lui. Ne faut-il pas le redimensionner en le sécurisant en faisant intervenir la police en prévention mais aussi en établissant des amendes ? Cette mission pourrait être donnée aux auxiliaires de la Ville de Paris, les fameux ISVP qui connaissent bien le quartier et suppléent ainsi la défaillance de la police nationale. Quoiqu’il en soit et bien qu’ayant voté l’installation du marché de la porte Montmartre, P.Y Bournazel n’en souhaite pas la multiplication dans l’arrondissement.
Concernant le marché des biffins, Pascal Julien fait le lien avec ce qui s’est passé porte Montmartre. "Au cours de la mandature commencée en 2001, ce sont les écologistes qui ont porté le projet du carré des biffins. A l’époque, Daniel Vaillant était contre et les communistes aussi. Cela a bien fonctionné mais fonctionne moins bien depuis quelque temps. Il y a 100 places mais comme les gens ne sont pas là tout le temps, cela fait en réalité plutôt 250/300. Ce que nous disons, c’est qu’il faut ouvrir d’autres carrés des biffins, dans la première couronne. Ce serait mieux que rien. Notons au passage qu’aucune mairie socialiste ne veut ouvrir un carré des biffins. Je le déplore. Avec ces carrés, on ne résoudra pas le problème de la misère mais au moins on ne la méprisera plus".
Circulation
Il faut améliorer l'offre de transport en commun" pense P.Y Bournazel, .....
...... et veiller à l'accessibilité. Il faut améliorer la fréquence des bus, étendre leurs horaires, à terme les avoir 24h/24 comme dans d'autres villes, certes pas tout de suite, mais progressivement. Pour le métro, le candidat se félicite de la reprise du Grand Métro par l’actuel gouvernement, il va désengorger les lignes existantes et permette à des gens qui ne peuvent pas aller travailler sans voiture de le faire. A sa grande fierté, il a obtenu de la RATP que les lignes 4, 12 et 13 passant dans le 18e fassent l’objet d’une priorité dans la modernisation, notamment pour les accès.
Il veut construire des parkings près des gares à l'extérieur de Paris pour que les véhicules n’y entrent pas et notamment près des gares nouvelles du Grand Métro. Mais aussi aux portes de Paris. Il défend aussi l’idée d’un Eco-Pass qui régulerait les autorisations de rouler dans Paris en fonction de la nécessité, de l'heure, de l'intérêt du déplacement, sorte de capteur informatisé.
« Il faut décourager la voiture à l’échelle nationale » pour Pascal Julien. « L’interdire brutalement façon Londres, je suis contre. Il faut que ceux qui n’ont pas besoin de la voiture ne la prennent pas. Déjà ça, ce serait bien et on réduirait une bonne partie du trafic. Voilà pourquoi nous sommes en faveur d’une augmentation du prix de l’essence. Le prix actuel n’est pas à hauteur de la réalité écologique. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu par l’installation de parkings aux entrées de ville. Cela ne résout pas le problème écologique de fond dans la mesure où on continue à utiliser une voiture. Par contre, porte de La Chapelle, là où je ferai la Halle Fret dans le cadre du projet Chapelle Internationale, on peut faire en sorte que ce soit par le train qu’arrivent désormais tout un tas de marchandises qui arrivent aujourd’hui en camions ».
Réaménagement des portes de Paris
Un des grands projets de P.Y Bournazel est le réaménagement des portes de Paris dans le 18e, avec en arrière plan le lien entre Paris et les communes limitrophes.
Pour la zone porte de Clignancourt porte Montmartre, son programme prévoit la création de la Cité des Métiers d'Arts (entre la résidence sociale et le boulevard périphérique, coté Ouest). Des contacts avec des professionnels artisans d’art ont été pris et l’accueil est bon. Cette Cité des Métiers d’Art pourrait être associée avec des activités très proches comme un centre de formation, des salles de répétition, etc... Il faut embellir l'espace et apporter de l'emploi. Ce serait un investissement mixte, privé, public, et la vente de parcelles aux promoteurs pourrait attirer du logement privé intermédiaire pour assurer la mixité sociale.
Pour la zone porte de La Chapelle porte d’Aubervilliers, le projet s’appuie sur le nouveau campus universitaire Condorcet qui doit y voir le jour et qu’il considère comme une facette attractive. P.Y Bournazel affirme que la porte de La Chapelle est un endroit stratégique pour Paris dont le développement économique doit faire l’objet d’une requalification globale avec création d’une cité étudiante internationale nouvelle associée à une cité de l’innovation numérique, mais pas uniquement numérique. La situation privilégiée de cette entrée de Paris, aux confins de la capitale, des nouvelles zones de développement à Pantin, Aubervilliers et l’accès direct à Roissy CDG sont des atouts.
Goutte d’Or
A tort ou à raison, les habitants de la GO nous disent souvent leur désarroi, leur sentiment d’être traités comme des habitants de seconde zone. N’y a-t-il pas un effort spécifique à faire dans ce quartier ?
« Oui, et j'ai voté souvent avec la majorité municipale les programmes de rénovation des immeubles » nous dit Pierre Yves Bournazel « mais dans l'habitat rénové il y a aussi des problèmes d'insalubrité, disent les habitants. Il faut donner la priorité de la rénovation à l'habitat indigne, car il y va de la santé des habitants, faire de la qualité et de l'habitat durable. C'est encore plus important dans les quartiers populaires, si l'on veut aller vers une égalité des chances. Un toit est la première priorité de l'homme » dit-il et qui par ailleurs s'insurge contre la possible construction de 6000 nouveaux logements sociaux dans le 18e sur la prochaine mandature.
En ce qui concerne les équipements, P.Y Bournazel pense que la Goutte d’Or n’a pas été si mal traitée que cela, mais que les habitants ne se les sont pas appropriés. "Ils ne sont pas pour eux ! Ils ne s'y sentent pas à l’aise" (référence au centre Barbara par exemple nldr).
« Je n’ai pas le même sentiment de traitement de seconde zone » dit Pascal Julien. « La perception des choses est toujours quelque chose de compliqué. La Goutte d’Or a été rénovée, le mot délaissé ne convient pas. Que les choses n’aient pas été bien faites, peut-être, mais parler d’espace délaissé, pour moi, n’est pas un terme recevable. Toutes les opérations de réhabilitation, de réduction de l’habitat insalubre, sans parler des équipements comme le centre Barbara, montrent que ce n’est pas un espace délaissé. Maintenant, tout n’a pas forcément été bien fait. Sur le plan de l’urbanisme, certaines choses auraient pu être améliorées, notamment certaines rues avec des alignements pas très heureux.
Par ailleurs, nous les écologistes, nous demandons dans notre programme que soit inscrit dans le Plan Local d’Urbanisme (PLU) que des parcelles soient inconstructibles, appropriables par les habitants sous forme de jardins partagés, par exemple. Nous demandons qu’on ne bétonne pas tout. L’espace vert doit être considéré comme un équipement, pas comme la cinquième roue du carrosse. N’oublions pas que le quartier de la Goutte d’Or va être très dense et manquer d’espaces verts.
Je termine en disant que je regrette la fin du Lavoir Moderne Parisien ».
Zone de Sécurité Prioritaire (ZSP)
La présence policière dans la ZSP Goutte d’Or est critiquée par certains habitants, la situation ne s'améliorant pas visiblement. Comment convaincre ces habitants qu'elle est utile, voire indispensable ? Telle est la question posée mais que nous avons détaillé pour les écologistes qui, eux, prévoient de remplacer les CRS par des policiers de terrain comme indiqué dans leur programme. Cela est-il réaliste ? Comment ? Où trouvez-vous ces policiers ? Les CRS sont en force d'appui en cas de problème. On est davantage dans la dissuasion. En cas de gros problème comment font-ils ? Car, certes, on peut penser que les CRS ne servent à rien mais il faut savoir que, lorsqu'il y a des actions policières contre le marché aux voleurs, des saisies de cigarettes avec les agents de la douane en soutien, les hommes présents dans les environs arrivent très vite pour défendre les autres.
« Moi je doute de l’efficacité des CRS qui restent dans leurs camions » commence Pascal Julien. « J’ai vu des gens commettre des infractions devant les CRS, donc ils ne servent pas. Pour qu’une politique de sécurité soit efficace, et j’y suis attaché, il faut qu’elle soit comprise. Vous-même, vous venez de le dire dans votre question, cette politique n’est pas comprise parce que cette présence n’est pas efficace. Je suis plutôt partisan de cette ZSP. Nous l’avons élaborée dans un partenariat avec beaucoup d’associations et de riverains. Ce n’est pas quelque chose qui a été imposé, il y a de la co-production, la sécurité c’est de la co-production. Il y avait besoin de cela. Mais cette ZSP serait encore mieux acceptée si on n’avait pu éviter deux choses. D’abord ces CRS et aussi l’opération du 6 juin qui n’a pas été bien perçue par beaucoup de monde. On nous dit que cette opération était ciblée, sur des trafics, … mais ce sont finalement les sans-papiers qui ont souffert. Il y a une ambiguïté ».
« Il y a aussi les phénomènes de bandes » continue Pascal Julien. « Des gamins qui viennent avec des battes de baseball, qui se font un petit western entre eux, créent un climat incertain, on va dire les choses comme cela. Il y a un report de la ZSP, les mêmes se sont déplacés. Pour ma part, je propose le harcèlement, je suis pour le harcèlement. Je n’aime pas les opérations coup de poing type de celle du 6 juin qui discréditent la ZSP (bouclage de la partie Sud de la Goutte d'Or le 6 juin 2013 par la police ndlr). Qu’on envoie les policiers des douanes ou de la BAC en permanence, je n’ai aucun problème avec cela.
Concernant le renforcement des forces de police, je suis le seul à avoir demandé la réouverture d’un commissariat, celui de la rue Raymond Queneau. Dans le quartier Chapelle, il y avait une antenne de police et j’ai demandé à ce que cela devienne une unité de police de quartier (UPQ). Je déplore la politique de la droite à cet égard qui n’a fait que diminuer les effectifs. Il y en a 63 qui sont arrivés, récemment, je m’en réjouis mais on ne forme pas les policiers comme cela, il faut du temps ».
P. Y Bournazel constate que le bilan de la ZSP n'est pas probant, au passage il souligne qu'il l'a voté avec l'exécutif parisien. La zone délimite bien la présence policière mais pas les trafics, pas la délinquance ! « Il y a des reports, parlez-en avec les habitants de Simplon » dit-il et ajoute « La police est là, mais les trafics perdurent ». Pour lui, il veut un retour de la police nationale à son cœur de métier, les enquêtes, le démantèlement des réseaux, etc. … Et sur place, à effectifs constants, il voit un redéploiement de la police de proximité à pied, celle qui connaît les habitants, les commerçants... en la concentrant sur les quartiers connaissant les incivilités. Il évoque un autre axe d'action : les travaux d'intérêt général, en réparation immédiate... au cas par cas. Il faut imaginer quelque chose entre l'impunité et la prison.
Côté Eric Lejoindre, on affirme que les résultats sont là, mais qu'ils sont encore peu visibles. Daniel Vaillant, lui, rapporte les propos d'un préfet de l'époque où il était ministre de l'Intérieur : « Au-dessous de 25% de baisse des chiffres d'un phénomène quelconque de délinquance, aucune amélioration n'est perceptible ». Devant les interrogations d’Action Barbès exprimant l'incompréhension des habitants et particulièrement leur doute devant les forces de police quand elles côtoient les habituels trafics du quartier sans intervenir, le candidat socialiste certifie que les résultats sont probants en matière de prostitution et de proxénétisme, par exemple; des fermetures administratives ont calmé certains coins, le taux d'élucidation des affaires remonte, etc. … Ces résultats ne sont pas connus et n'interviennent donc pas dans le jugement des habitants. Peut-être pourrait-il y avoir un effort de communication sur ce sujet. En revanche, le phénomène de marché à la sauvette, par son ampleur et sa visibilité, tant sur place que médiatique, occulte tous les résultats obtenus par ailleurs.
Nous sentons que les socialistes veulent nous convaincre que la ZSP est une bonne chose, que la situation s'améliore. « Le dispositif a permis de prendre en compte les signalements faits par les habitants, des planques ont suivi, puis des interpellations, et de la détention aussi, parce qu'il y a derrière un travail patient. Il n'y a pas toujours la réponse judiciaire appropriée mais on progresse » nous dit Myriam El Khomri, chargée de la sécurité à l’Hôtel de Ville. Elle nous donne des précisions sur le cas du bonneteau que les juges ont eu du mal à re-qualifier comme escroquerie avec des peines d'enfermement à la clé. Mais c'est fait. C'est un signal fort qui a fait baisser l'activité. « On a tort de ne pas communiquer sur ces acquis. Nous avons travaillé à un compte ZSP sur Facebook, mais la période de campagne interdit qu'il soit activé... Pas facile ! Le plus dur est la dérégulation de l'espace public, il va falloir être patient, toutefois la présence policière a fait baisser les trafics de contrefaçon, l'aide des douanes a été déterminante, le gros investissement des services aussi, la présence des inspecteurs de sécurité (qu'on ne voit pas parce qu'ils sont en civil..) » précise-t-elle encore, avant d’ajouter «Il y a eu beaucoup de réunions dernièrement avec des copropriétés notamment et les associations. Tout est prêt pour que ça change ».
Conseils de quartier CQs
Eric Lejoindre souhaite re-mobiliser les conseils de quartiers où désormais la présence des élus est moins déterminante (depuis la nouvelle organisation des CQ du 18e). « Il nous faut être attentifs à un type d'enfermement de certaines personnes, qui concentrées sur une seule source d'information peuvent croire n'importe quoi. Il faut promouvoir la diversité d’opinions » dit-il. (On venait de traverser l'épisode d'enfants absents des écoles à cause de la rumeur sur les "genres" ndlr)
P.Y Bournazel voit deux pistes pour les re-dynamiser. Une séquence formelle de prise de décision commençant par un vote par les CQs, avalisé par le Conseil d’Arrondissement puis monté au Conseil de Paris. Il souhaite que les CQs puissent prendre en charge l’aménagement d’un quartier (voirie, propreté, …) en liaison avec des associations.