L'Institut de Santé Publique de l'Inserm vient de publier le rapport scientifique sur les Salles de consommation à moindre risque en France. Ce rapport était attendu par beaucoup, car après cinq ans d'expérimentation des SCMR en France (Paris et Strasbourg), cette étude vient apporter des données objectives sur l'impact de ce dispositif, ainsi que des préconisations pour l'avenir.
Cet épais rapport de 349 pages comporte trois volets présentant les résultats de trois études complémentaires :
- COSINUS : COhorte pour l’évaluation des facteurs Structurels et INdividuels de l’USage de drogues
- COSINUS éco : Évaluation économique des salles de consommation à moindre risque
- Recherche sociologique sur l’impact de la salle de consommation à moindre risque sur la tranquillité publique et son acceptabilité sociale
Les résultats de ces études montrent des résultats clairement positifs, à des différents degrés, sur l'ensemble des axes de recherches : santé publique et réduction des risques, diminution des coûts de santé publique, tranquillité publique.
Nous avons lu attentivement ce rapport scientifique et nous en faisons ici une courte synthèse pour exposer les points saillants. Pour plus de précisions et de détails, vous pouvez vous reporter au rapport, un lien de téléchargement est disponible en bas de l'article.
Un effet bénéfique pour la santé publique
Commençons par l'étude COSINUS (COhorte pour l’évaluation des facteurs Structurels et INdividuels de l’USage de drogues), une étude lancée sur plusieurs années pour suivre l'évolution de la santé d'une cohorte d'usagers de drogue (p. 28-96). Cette partie s'intéresse aux usagers de drogues et aux effets d'une SCMR sur leur santé, leur lien avec le système de soins et leur insertion sociale.
Côté santé, le rapport fait état notamment d'une diminution modeste des contaminations au VIH et à l'hépatite C (infections VIH - 6% et VHC - 11%), d'une baisse significative des complications liées aux injections, et d'une réduction des overdoses pour les usagers "exposés" à une SCMR. Cela entraine une diminution des passages en service d'urgences mais également des consultations chez les médecins généralistes et spécialistes. Le rapport précise toutefois que "[…] le fait d’avoir fréquenté les SCMR n’a pas permis d’améliorer l’accès au dépistage VHC, aux médicaments de l’addiction aux opiacés, à la médecine de ville".
Autres points marquants de cette étude : les usagers de drogues fréquentant une SCMR sont beaucoup moins enclins à commettre des délits. De même, et très logiquement, ils s'injectent nettement moins dans l'espace public. Conséquemment, les seringues abandonnées dans l'espace public sont beaucoup moins nombreuses.
Les SCMR permettent des réductions de dépenses publiques
Le second volet de ce rapport présente les résultats de Cosinus Éco (Évaluation économique des salles de consommation à moindre risque). Les chercheurs mobilisés pour cette étude ont produit une estimation du rapport coûts/efficacité des SCMR vis à vis des dispositifs existants comme les CAARUD (p. 97-122).
L'étude économique s'est attachée à mettre en balance les coûts et les bénéfices apportés par les SCMR. Les résultats exprimés sur une projection à dix ans d'existence des SCMR. L'étude montre que la SCMR parisienne évite 22 décès (- 6,7 %), elle réduit les risques de contamination aux VIH VHC (voir plus haut). Mais les coûts médicaux évités les plus importants sont ceux liés aux passages aux urgences évités (3.487 millions d'euros), puis ceux liés aux endocardites (1.730 millions d’euros), aux abcès (1.045 millions d’euros), aux overdoses (0.495 millions d’euros).
Et même si l'implantation entraine des dépenses et des coûts supplémentaires dus à son efficacité (une vie sauvée engendre des coûts de santé à plus à long terme), les chercheurs de l'Inserm de conclure que "[les] analyses et les conclusions qui en découlent sont conservatrices et suggèrent que les SCMR seraient coût-efficaces dans le contexte de la France". Autrement dit, qu'il serait économiquement bénéfique pour la société de déployer le système de SCMR en France.
La présence d'une SCMR n'entraine pas de dégradation du quartier qui l'accueille
Cette partie nous intéresse particulièrement, et ses analyses et ses conclusions ne surprendront pas celles et ceux qui suivent de près ce dossier de manière objective. Il s'agit donc de "La recherche sociologique sur l’impact de la SCMR sur la tranquillité publique et son acceptabilité sociale", une étude dirigée par la chercheuse Marie Jauffret-Roustide (p. 124-303).
Cette étude s'appuie sur plusieurs matériaux : une série d'entretiens avec des riverains de la salle (pro, opposants et indifférents), des professionnels de la RDR, des policiers du secteur, des agents de la gare du Nord... ; une analyse des discours médiatiques sur la SCMR ; ainsi que l'analyse de l’enquête EROPP (Enquête sur les représentations, Opinions et Perceptions sur les Psychotropes) menée en 2018.
Plusieurs points sont à retenir. Commençons par l'aspect médiatique où l'ont voit, sans surprise, que les médias généralistes ont une tendance nette à donner plus la parole aux riverains opposants à la SCMR, faisant souvent le choix du sensationnalisme. C'est ce que nous constatons avec le journal Le Parisien, par exemple, dont la journaliste en charge du secteur à cesser subitement de nous interroger depuis que la salle est ouverte alors que cette même journaliste faisait très régulièrement appel à notre association auparavant. Un choix de la subjectivité délibéré donc. Ce traitement médiatique biaise forcément la perception que l'on se fait du quartier vu de l'extérieur. Pour autant, les riverains affichent une pluralité de positions que l'on retrouve à travers les différents entretiens menés avec eux.
L'étude montre clairement que le secteur Gare du Nord/Lariboisière accueillait une scène ouverte de toxicomanie bien avant l'implantation de la SCMR et que les problèmes rencontrés aujourd'hui dans les rues avoisinantes ne sont pas tous imputables à la SCMR (amalgame que peuvent faire les opposants, souligne le rapport), tant s'en faut !
Les chiffres émanant du commissariat du 10e ne montre aucune augmentation de la délinquance imputable à la SCMR. Le secteur Lariboisière ne fait d'ailleurs pas plus l'objet d'appels de riverains pour des questions de toxicomanie que les autres secteurs du 10e arrondissement.
Ce qu'il ressort globalement c'est que dans ce périmètre, c'est bien la Gare du Nord qui attire des usagers de drogues et non la SCMR.
Un outil efficace à déployer
Le rapport scientifique de l'Inserm conclut à des effets positifs de l'implantation de SCMR là où existent des scènes ouvertes de toxicomanie. Il est préconisé d'ouvrir d'autres structures, dont certaines pourraient s'adosser à des dispositifs existants, comme certains CAARUD qui pourraient se voir adjoindre une salle de consommation. Cela permettrait des économies substantielles en terme d'investissement.
Il revient maintenant au gouvernement de prendre ses responsabilités et de mettre en œuvre ces recommandations pour une meilleure prise en charge des usagers de drogues et particulièrement ceux sans hébergement, pour des raisons évidentes de santé publique mais également de tranquillité publique.
- Pour télécharger le rapport complet, cliquer ici : Rapport-scmr-inserm-2021.pdf
Entrée de la SCMR rue Ambroise Paré, mai 2021