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Histoire des rues de la Goutte d'Or : la rue Myrha

Traditionnellement, le blog d’Action Barbès fait relâche pour l’été et quitte l’actualité de nos quartiers. Mais cette année durant la pause estivale, nous vous invitons à une promenade dans le temps à travers une série d’articles sur l’histoire des rues de la Goutte d’Or, ce quartier des faubourgs de Paris né dans la commune de La Chapelle.

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Nous poursuivons notre exploration temporelle à travers les rues de la Goutte d'Or avec une des plus emblématiques du quartier : la rue Myrha.

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La rue Myrha commence rue Stephenson et se termine 610 mètres plus loin, rue de Clignancourt, sa largeur varie de 10 à 12 mètres ; elle remonte et longe le versant Nord de l'ancienne Butte des Cinq Moulins pour aboutir sur le flanc Est de la Butte Montmartre. Elle est le fruit de la réunion de deux artères faubouriennes issues de lotissements privés spéculatifs entrepris sous la Monarchie de Juillet. Il faut donc remonter à la première moitié du 19ème siècle dans les communes de La Chapelle et de Montmartre pour voir naître ces deux rues qui formeront l'actuelle rue Myrha.

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La rue Myrha depuis la rue de Clignancourt, vers 1900

 

Vers la fin des années 1830, la partie Sud de l'actuel quartier de la Goutte d'Or, située entre les rues de la Goutte d'Or et de Jessaint et le boulevard de la Chapelle, alors territoire de la commune suburbaine de La Chapelle, est presque totalement lotie sur des initiatives privées. Les rues de la Charbonnière, de Chartres et Fleury ont vu le jour depuis une vingtaine d'années et sont largement bâties, mais elles ne seront baptisées officiellement et classées dans les voies municipales qu'en 1842. Ici s'étendent le hameau de la Goutte d'Or à l'Ouest et le hameau Saint-Ange à l'Est. Plus au Nord, la rue Doudeauville a été ouverte en 1826, entre la rue Marx Dormoy (alors Grande Rue à La Chapelle) et la rue des Poissonniers, et un nouveau chemin des Cinq Moulins est percé (une portion de l'actuelle rue Stephenson ; la rue de la Goutte d'Or a aussi été nommée chemin des Cinq Moulins, la rue de Polonceau également). Entre la partie lotie au Sud du territoire et la rue Doudeauville, il subsiste un dernier moulin de la Butte des Cinq Moulins et quelques constructions autour, mais au-delà de la rue Polonceau (alors rue des Couronnes) les terrains ne sont pas encore urbanisés, alors que la pression immobilière s'accentue. Plusieurs rues sont ouvertes, toujours sur des initiatives de spéculateurs privés. Ainsi, à la fin des années 1830 début des années 1840, plusieurs voies sont ouvertes : la rue d'Alger (rue Affre), la rue Cavé, la rue Ernestine, la rue des Gardes, la rue de Mazagran (rue Laghouat), la rue  d'Oran, qui seront municipalisées de 1841 à 1850. En 1839, messieurs Rouquairol et Flury ouvrent la rue Léon (tronçon entre les rues Myrha et Doudeauville) et la rue de Constantine (tronçon entre les rues Léon et des Poissonniers). La rue de Constantine est très vite prolongée et s'étire alors du chemin des Cinq Moulins (rue Stephenson) à l'Est jusqu'à à la rue des Poissonniers à l'Ouest. La voie est classée dans les voies municipales de La Chapelle par une ordonnance royale du 31 juillet 1841. Voilà ouverte la première partie de la future rue Myrha.

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Rue de Constantine sur le plan Dufour, 1841 (avec quelques fautes)

 

Le nom de Constantine, ville algérienne, fait référence à la récente conquête coloniale de l'Algérie. Dans ces années-là, la municipalité de La Chapelle a baptisé un bon nombre de ses rues pour célébrer les conquêtes coloniales françaises. Si certains noms ont été remplacés depuis, la plupart pour cause de doublon après l'annexion à Paris (rues d'Alger, de Mazagran...), il en subsiste plusieurs dans les quartiers de la Goutte d'Or et de la Chapelle : la rue de la Guadeloupe, la rue de la Louisiane, la rue de la Martinique, la rue d'Oran ou la rue de l'Olive. À cet égard, la rue de l'Olive mérite une petite digression. En effet, la rue de l'Olive s'est nommée rue l'Olive jusqu'en 2011, faisant référence à Charles Liénard de l'Olive (par convention, les particules n'apparaissent pas dans les noms de rue à Paris), colonisateur de la Guadeloupe. En 2011, le conseil municipal décide de renommer astucieusement la rue en lui ajoutant l'article "de", afin que désormais la rue ne célèbre plus un colon sanguinaire mais le plus sympathique fruit oléagineux. 

Mais revenons à la rue Myrha, ou plutôt à la rue de Constantine. Nous avons vu que le coté Est de la rue des Poissonniers, sur la commune de La Chapelle, est à présent largement loti ou en cours de lotissement, du coté Ouest, sur la commune de Montmartre, le lotissement privé n'est pas en reste.

Au débouché de la rue de Constantine, de l'autre coté de la rue des Poissonniers, la propriété du Château Rouge (en réalité une maison bourgeoise de briques rouges) s'étend sur la commune de Montmartre, entre les actuelles rues Christiani, de Clignancourt, Ramey, Doudeauville et des Poissonniers.  

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À partir de 1844, l'arrivée du chemin de fer va accentuer la demande immobilière dans ce secteur. C'est cette année-là que le parc du Château Rouge va commencer à être loti et viabilisé à l'initiative des lotisseurs Frédéric Lévisse-Dubray et Charles-Henri Poulet-Langlet avec la société adjudicatrice Duseigneur & Cie. Ainsi, de nouvelles voies, que les deux promoteurs vont baptiser de leurs prénoms et noms, sont ouvertes : la rue Neuve des Poissonniers qui devient la rue Lévisse avant d'être absorbée par le percement du boulevard Barbès ; la rue du Château Rouge devenue la rue Poulet ; la rue Charles-Henri (premier nom de la partie de la rue Doudeauville entre la rue des Poissonniers et la rue de Clignancourt, qui se nommera ensuite rue Dejean avant de devenir une portion de la rue Doudeauville ; l'actuelle rue Dejean, percée plus tard, s'est d'abord appelée rue Neuve Dejean) ; la place du Phare qui devient celle du Château Rouge ; la partie de la rue de Clignancourt entre les rues Ramey et Marcadet ; et enfin la rue Frédéric qui est percée dans le prolongement de la rue de Constantine, depuis la rue des Poissonniers jusqu'à la rue de Clignancourt, voilà le deuxième tronçon qui constituera la rue Myrha.

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Le domaine du Château Rouge sur l'Atlas Jacoubet de 1936

 

Les terrains sont découpés en petites parcelles vendues nues ou bâties. Quelques immeubles construits à la période de cette première urbanisation (1844-1847) sont encore visibles dans le quartier, comme le 4 rue des Poissonniers/18 boulevard Barbès ou le 46 boulevard Barbès, tous deux surélevés depuis.

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La rue Frédéric sur le plan cadastral de Montmartre (1830-1850)

 

En 1847, ces voies nouvelles sont classées dans le domaine public par une ordonnance royale du 31 mars. Amputé de son parc, le Château Rouge accueille le bal éponyme. Le 10 juillet de cette année, il héberge le premier "Banquet réformiste" de la "Campagne des banquets", des réunions politiques qui finiront par déclencher la révolution de 1848 qui renverse le dernier souverain français, Louis-Philippe 1er, et institue la Deuxième République. Lors de de cette révolution de février 1848, le maire de Montmartre, le monarchiste Alexandre Biron, dont la fille unique de dix-huit ans est décédée un mois plus tôt, est destitué et quitte la vie politique.

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La rue Frédéric est ensuite renommée rue Myrha. La date de changement de dénomination n'est pas connue, la première attestation historique du nom de rue Myrha date de septembre 1849. Officiellement, Myrha est le prénom de la fille de l'ancien maire Biron à qui la commune de Montmartre aurait rendu hommage. Certains commentateurs contestent cette attribution, et, en effet, plusieurs éléments viennent troubler cette certitude officielle : d'une part, il est plutôt étonnant que le conseil municipal républicain qui dirige alors Montmartre veuille rendre hommage à la fille de celui dont ils ont précipité la chute quelques mois plus tôt, d'autre part, dans les archives, le seul prénom de la fille de Biron que l'on puisse trouver est Marie, et non Myrha. Il serait nécessaire de pousser plus avant les recherches pour vérifier les origines de ce baptême. Qu'il fût celui de la fille de Biron ou non, l'origine du prénom Myrha vient du personnage de la mythologie grecque, la mère incestueuse d'Adonis. Au 19e siècle, le nom de la rue se retrouve écrit sous différentes formes : Myrha, Myrrha, Myrra, Mirrha ou encore Mirha.

En 1860, lors de l'annexion des communes suburbaines à la capitale, ces deux rues deviennent parisiennes (officiellement par un décret de 1863), toutes deux dans le nouveau 18ème arrondissement, la rue Myrha dans le quartier administratif de Clignancourt et la rue de Constantine dans celui de la Goutte d'Or. Le percement du boulevard Barbès (initialement boulevard Magenta prolongé, puis première partie du boulevard Ornano jusqu'en 1882), entrepris à partir de 1863, va amputer la rue Myrha de quelques numéros.

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Les rues Frédéric et de Constantine sur un plan édité en 1866

 

En 1868, à la faveur d'une réorganisation des noms de voies du Paris nouvellement agrandi, la rue Myrha et la rue de Constantine sont fusionnées pour n'en former qu'une. L'artère prend le nom de rue Myrha, l'autre rue homonyme dans le 7ème arrondissement emportant le nom de Constantine, voilà notre rue Myrha à présent entière.

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La rue Myrha depuis la rue des Poissonniers, vers 1900

 

Une trace de cette fusion est encore visible aujourd'hui au 72 rue Myrha. Cette adresse était le début de la rue Frédéric, puis rue Myrha, à Montmartre, le numéro 2 de la rue. Au moment de la réunion des deux tronçons, l'ancienne rue Myrha a été re-numérotée. Le numéro 2 de l'ancienne rue Myrha à Montmartre devient le numéro 72 de la nouvelle rue Myrha à Paris. Le chambranle de la porte d'entrée porte encore les deux numéros, le chiffre 2 bien gravé dans la pierre témoignant de son passé montmartrois.

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Entrée du 2 rue Myrha à Montmartre / 72 rue Myrha à Paris

 

Au début du 20ème siècle, un projet de prolongement de la rue Myrha à l'Est par l'intermédiaire d'une passerelle devait voir le jour. Ce passage piéton devait passer sous le porche de l'immeuble faisant face à la rue Myrha, au 36 rue de Stephenson, enjamber les voies de chemin de fer du Nord sur une passerelle et rejoindre la rue Marx Dormoy par la cité de la Chapelle. Jugée non-prioritaire par les édiles parisiennes de l'époque, l'idée a été finalement abandonnée. La rue Myrha resta donc dans les proportions que nous lui connaissons aujourd'hui.

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La rue Myrha vue depuis la rue Stephenson, vers 1900

 

Avant de quitter la rue Myrha, remontons-la une dernière fois en s'arrêtant à quelques adresses empreintes d'histoire.

  • N°5 : Bel immeuble locatif de style Louis-Philippe datant du début des années 1840, en cours de restauration/transformation.

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  • N°36 : Ancien cinéma l'Artistic Myrha Palace (puis Myrha Palace) ouvert de 1912 à 1978. Il devient ensuite l'Église du Nazaréen, fermée récemment.

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  • N° 47 : Emplacement du Bal Adrien, connu pour avoir été un lieu de rendez-vous de la pègre du début du 20ème siècle : les Apaches.

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  • N°63 : Pendant la Commune de Paris,le 23 mai 1871, Jaroslaw Dombrowski est tué devant le numéro 63 de la rue Myrha.

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  • N°76 : Résidence du docteur Dupas. Le 16 novembre 1867 se tient une réunion d'un groupe de l’Association Internationale des Travailleurs, réunissant notamment : Jean Roulier, Victorine Brocher-Rouchy, Léo Fränkel, Auguste Vermorel et Charles Delescluze.

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  • N°80 : Après la Commune, Eugène Pottier se cache à cette adresse. Il y écrit le poème "L'internationale" qui sera mis en musique par Pierre Degeyter. L'Internationale est née rue Myrha.

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  • N°84 : Ateliers d'Adolphe Sax l'inventeur du saxophone, de 1910 à 1929. Son établissement sera racheté par la société Selmer qui fera fonctionner ses ateliers ici jusqu'en 1981. 

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Commentaires

  • J'adore cette série d'articles. Merci pour celle-ci, même si j'ai voté pour la rue Doudeauville !

  • Très chouette série indeed !

    J'aurais bien aimé que l'historique aille jusqu'à aujourd'hui. De mémoire, c'est rue Myrha qu'ont eu lieu certains des assassinats qui ont marqué la décolonisation de l'Algérie et, plus récemment, les « années noires » après l'accession du Front Islamique du Salut au pouvoir, toujours en Algérie.

  • Ce que je voudrais savoir c'est pourquoi la rue Myrha s'appelle Myrha. D'où vient son nom?
    Amicalement

  • @Philipako
    Il faut lire mieux ^_^
    dans le texte : "Officiellement, Myrha est le prénom de la fille de l'ancien maire Biron à qui la commune de Montmartre aurait rendu hommage. "
    Mais ce n'est qu'une des hypothèses.
    A la suite il est dit :
    "Certains commentateurs contestent cette attribution, et, en effet, plusieurs éléments viennent troubler cette certitude officielle : d'une part, il est plutôt étonnant que le conseil municipal républicain qui dirige alors Montmartre veuille rendre hommage à la fille de celui dont ils ont précipité la chute quelques mois plus tôt, d'autre part, dans les archives, le seul prénom de la fille de Biron que l'on puisse trouver est Marie, et non Myrha. Il serait nécessaire de pousser plus avant les recherches pour vérifier les origines de ce baptême. Qu'il fût celui de la fille de Biron ou non, l'origine du prénom Myrha vient du personnage de la mythologie grecque, la mère incestueuse d'Adonis. Au 19e siècle, le nom de la rue se retrouve écrit sous différentes formes : Myrha, Myrrha, Myrra, Mirrha ou encore Mirha."
    A vous de voir et de trouver mieux peut-être.
    Bien cordialement.

  • Bonjour à tous les amoureux de la Goutte d'Or!
    Je vous remercie pour cet article fort instructif. J'ai habité au début de la rue (côté rue Stephenson) fin des années 90.
    Une époque formidable, j'y ai vécu des moments d'amitiés inoubliables!
    La rue était aussi un baromètre national: assassinat à la mosquée, émeutes, prostitution, mais aussi restos couscous, bonnes boulangeries, cafés et épiceries métissées. Et on oublie de dire que la rue Myrrha est à deux pas de l'église Saint Bernard dont le nom symbolise la lutte pour le droit au logement.
    De quoi faire un belle thèse de doctorat!
    La rue Myrrha est morte, vive la rue Myrrha!

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