Traditionnellement, le blog d’Action Barbès fait relâche pour l’été et quitte l’actualité de nos quartiers. Mais cette année durant la pause estivale, nous vous invitons à une promenade dans le temps à travers une série d’articles sur l’histoire des rues de la Goutte d’Or, ce quartier des faubourgs de Paris né dans la commune de La Chapelle.
Après avoir évoqué les rues Marx Dormoy et des Poissonniers, nous allons aborder à présent la rue qui les a reliées et qui a donné son nom au quartier : la rue de la Goutte d'Or.
Il faut remonter au début du 18e siècle pour trouver les origines de la rue de la Goutte d'Or, ainsi que de la rue de Jessaint, les deux rues n'en formant qu'une à leur création. Le secteur géographique, alors nommé canton des Couronnes, qui la voit naître, compris entre le chemin des Poissonniers (rue des Poissonniers) à l'Ouest, la rue Marcadet au Nord,le Faubourg de Gloire (rue Marx Dormoy) à l'Est et l'Enclos Saint-Lazare au Sud, et qui correspond à l'actuel quartier de la Goutte d'Or, est un territoire hors de Paris mais qui dépend de la paroisse parisienne de Saint-Laurent. Après la Révolution, ce territoire est rattaché à la paroisse de Chapelle Saint-Denis devenue une commune.
Une partie du canton des Couronnes sur le plan Jouvin, 1672
La colline qui se dresse là se nomme Butte des Couronnes ou Butte des Cinq Moulins en références aux moulins à plâtre qui s'alignent sur sa crête le long de l'actuelle rue Polonceau. Au Sud de ces moulins, les terres appartiennent aux religieux de Saint-Lazare. Ces Messieurs de Saint-Lazare obtiennent du prévôt de Paris le droit d'ouvrir une nouvelle voie sur ces terrains, un chemin qui connectera le faubourg de Gloire (rue Marx Dormoy) au chemin des Poissonniers (rue des Poissonniers). La voie est ouverte vers 1720, commençant au dessus du séminaire Saint-Charles à l'Est, pour aboutir sur le chemin des Poissonniers, avec un léger décalage avec le chemin qui s'achève en face et qui descend de la chaussée de Clignancourt (rue de Clignancourt) jusqu'au chemin des Poissonniers (l'actuelle rue Christiani).
Il s'avère que contrairement aux termes de l'accord donné aux religieux, le tracé du chemin n'est pas rectiligne mais suit le relief sinueux du flanc Sud de la butte des Couronnes. Il est donc fait obligation aux religieux de Saint-Lazare de rectifier la trajectoire ; les travaux sont exécutés vers 1750 (le chemin rectifié apparait sur un plan de 1757), la voie prend alors la configuration que nous lui connaissons aujourd'hui.
"Plan du chemin de St. Charles aux moulins des Couronnes et des environs sur le faub. de Gloire" 1750. Le tracé correctif se superpose au chemin sinueux
La voie nouvellement ouverte n'a pas de dénomination officielle, elle prend différents noms selon les époques. Elle est nommée chemin de Saint-Charles aux moulins des Couronnes en 1750, chemin de traverse de celui des Poissonniers au faubourg de Gloire vers 1780, chemin neuf du chemin des Poissonniers à la Chaussée Saint-Denis en 1780, ou encore chemin des Cinq Moulins sur le plan Verniquet en 1790 (l'actuelle rue Polonceau s'est également appelée chemin des Cinq Moulins et le premier nom de la rue Stephenson était rue des Cinq Moulins).
"carte du terrier de la maison Saint-Lazare", 1780
Très vite après le percement de ce nouveau chemin, une auberge s'installe à l'angle Nord du croisement de la nouvelle voie et du chemin des Poissonniers ; l'emplacement à ce carrefour est commercialement un choix judicieux, en effet, on est ici sur un axe passant, à deux pas d'une entrée de Paris et non loin de l'activité des moulins et des carrières de gypse environnantes. Cet établissement prend pour enseigne "À la Goutte d'Or" en souvenir d'une vigne à ce nom qui exista dans les environs.
L'auberge à l'enseigne à la Goutte d'Or sur le plan Turgot de 1739
Il faut faire ici une petite digression pour préciser l'origine de ce nom de Goutte d'Or. La tradition locale imagine une butte des Couronnes couverte de vignes produisant un vin si fameux qu'on l'offrit aux rois de France et qui aurait donc servi à nommer ce territoire. Mais s'il a bien existé une vigne dite de la Goutte d'Or sise le long de l'actuelle rue des Poissonniers, peut-être même à l'emplacement de l'auberge éponyme, sa localisation exacte n'est pas formellement établie, pas plus que la production d'un vin célèbre n'est attestée à cet endroit. En fait, cette croyance vient d'une histoire un peu "bricolée" par l'historien amateur Firmin Leclerc et publiée en 1888. L'auteur n'y cite aucune source, y fait des rapprochements chronologiquement douteux et de nombreuses approximations. Cette historiette plaisante est ensuite largement reprise dans la presse pour finir par être reconnue comme une histoire plus ou moins officielle, mais plusieurs historiens sérieux de l'époque l'ont d'emblée qualifiée de légende. Ce qui est certain, c'est que si ce nom de Goutte d'Or a bien servi à dénommer un lieu-dit et une vigne dans ce coin, il n'a jamais désigné l'ensemble de ce territoire connu comme le canton des Couronnes et rien n'atteste de la présence de vignes sur une étendue aussi vaste que la butte des Couronnes.
C'est donc par cette auberge, assez fameuse pour devenir un repère topographique, que le nom de Goutte d'Or va se diffuser jusqu'à baptiser la rue éponyme. Tout d'abord pour nommer le petit hameau qui se développe autour d'elle au début du 19e siècle sur l'ancienne nitrière artificielle voisine, dans un quadrilatère formé actuellement par les boulevards Barbès et de la Chapelle et les rues de la Goutte d'Or et des Islettes. C'est en 1814 sur le cadastre napoléonien que pour la première fois le hameau est nommé hameau de la Goutte d'Or sur un plan.
Le hameau de la Goutte d'Or sur l'atlas de Jacoubet (édité de 1827 à 1839)
Le chemin prend ensuite le nom de Chemin du hameau de la Goutte d'Or. En 1828, la totalité de la voie est officiellement nommée rue de la Goutte d'Or. C'est à cette période que les rues du quartier commencent à être viabilisées et pavées. En 1834, elle est divisée en deux parties par une délibération du conseil municipal de la commune de La Chapelle, la première partie prenant le nom de rue de Jessaint en hommage à Adrien-Sébastien Bourgeois de Jessaint, sous-préfet de Saint-Denis (département de la Seine).
Le rue de Jessaint vers 1900, en direction de la place de la Chapelle
La rue de la Goutte d'Or gagne quelques mètres lors du percement du boulevard Barbès (boulevard Ornano à son ouverture) entre 1863 et 1867, pour atteindre ses dimensions actuelles de 395 mètres de longueur pour 10 mètres de largeur.
Le rue de la Goutte d'Or vers 1900, on distingue à droite le débouché de la rue des Islettes
Lors de l'annexion des faubourgs parisiens en 1860, les communes de Montmartre et La Chapelle constituent le 18e arrondissement, dit "des Buttes Montmartre", il est divisé en quatre quartiers administratifs dont l'un prend le nom de la Goutte d'Or. C'est ce baptême administratif qui va consacrer le nom de Goutte d'Or pour désigner plus largement l'ancien canton des Couronnes et finalement le quartier de la Goutte d'Or comme nous le désignons aujourd'hui, c'est à dire la moitié Sud du quartier administratif.
Nous terminerons cette promenade historique en évoquant une autre rue de la Goutte d'Or qui a existé dans les environs mais qui a fini par sombrer dans l'oubli : la petite rue de la Goutte d'Or à Montmartre.
Nous avons vu dans l'article qui lui est consacré que la rue des Poissonniers était la frontière entre les communes de Montmartre et la Chapelle Saint-Denis avant leur annexion à Paris en 1860. Au début du 19e siècle le hameau de la Goutte d'Or se développe du coté Est de la rue des Poissonniers sur la commune de La Chapelle et de l'autre coté, sur la commune de Montmartre, s'étend un hameau que l'on nomme la France Nouvelle, un nom qui répond en miroir au quartier voisin de la Nouvelle France qui se situe sur la partie Nord de l'actuel 9e arrondissement. Ces deux petits hameaux s'étendent alors sur un territoire qui recouvre aujourd'hui le territoire informel qu'on nomme "Barbès". Dans la France Nouvelle, à l'angle du boulevard Rochechouart (alors boulevard des Poissonniers) et de la rue des Poissonniers (aujourd'hui boulevard Barbès) se niche la place Belhomme (voir plan ci-dessous). Deux petites rues d'une vingtaine de mètres mettent en communication la place Belhomme et la rue des Poissonniers, l'une au Sud-Est de la place qui se nomme rue de la France Nouvelle et l'autre au Nord-Est qui porte le nom de... rue de la Goutte d'Or ! L'usage la consacre sous le nom de petite rue de la Goutte d'Or ou passage de la Goutte d'Or (l'actuelle rue Francis Carco s'est aussi nommée passage de la Goutte d'Or), certainement pour la différencier de sa voisine. Ces deux ruelles ainsi que la place Belhomme ont été supprimées par le percement du boulevard Barbès.
Plan de 1866, la bande orange montre la projection du futur boulevard Barbès en cours de percement
Il a donc existé une autre rue de la Goutte d'Or proche de quelques dizaines de mètres de la seule que nous connaissons aujourd'hui. Mais cette petite rue n'ayant existé que quelques décennies à l'ombre de sa célèbre voisine homonyme et sa petitesse faisant que même sur les plans du cadastre de Montmartre on ne prenne pas le soin de la nommer, font qu'on a fini par oublier l'existence d'une petite rue de la Goutte d'Or.
Commentaires
Il eut été dommage que la relâche de l'été prive les lecteurs de cet intéressant billet .