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De la rencontre avec le commissaire Jacques Rigon, chef du 2e district de Paris

Le titre est ambigu ?  Il y a beaucoup à dire et nous avons décidé de traiter les sujets les uns après les autres, pour plus de clarté. Les problématiques de Barbès s’étalent aussi bien dans l’espace public que dans la presse et depuis peu, d’une manière un peu invasive, à la table du préfet, qui a décidé de prendre le taureau par les cornes. Ou comme il l’a dit lui-même « de changer de braquet » (voir notre article du 21 janvier dernier).
Il a proposé de réunir la même assemblée tous les deux mois. Coordinateur de cette nouvelle politique offensive de la Préfecture, le commissaire Jacques Rigon nous a sollicités pour une rencontre en début de semaine. Première réunion pour faire le point, échanger nos connaissances, lui, nous dire les premiers chiffres des actions de la semaine dernière, et nous, lui communiquer nos observations d’habitants du quartier. Nous sommes convenus de nous revoir tous les quinze jours. Il semble en effet qu’on ait changé de braquet, peut-être même le vélo est-il plus sportif. 

 
Le commissaire nous a consacré plus d’une heure, dans des circonstances particulières puisqu’il devait gérer en même temps le dispositif de police après la mort d’un adolescent dans le 20e, devant son lycée. Nous avons su nous adapter et constaté que la fonction demande une grande concentration et une disponibilité certaine. 
 
L'état d'esprit 
 
M. Rigon souhaite visiblement nous convaincre que les forces de police sont mobilisées et que les résultats vont suivre, forcément. Il nous donne quelques chiffres pour nous le démontrer : rien que la semaine dernière (du 23 au 28 janvier) sur le 18e, elles ont procédé à 200 arrestations, ont établi 124 procédures simplifiées, saisi 380 kg d'objets mis à la benne, réalisé 1400 évictions de vendeurs à la sauvette… un bilan chiffré est établi au jour le jour et transmis au préfet. 
 
« On occupe le quartier ! Il faut que cela soit visible ! » Les opérations sont programmées, avec un calendrier serré, qui alterne les horaires des coups de poing, diversifie les thèmes (sauvette, vente de cigarettes, enlèvement de véhicules) de façon à surprendre et à désorienter les malfrats. Oubliée la routine. Oubliées les actions prévisibles qu’on voyait venir de loin. Il faut être efficace, perturber les trafics, et exploiter au maximum les moyens qui sont mis à disposition, actuellement. Ses moyens humains, augmentés de façon conséquente, ne seront pas toujours là, il faut donc savoir en tirer le meilleur. 
 
Occuper le terrain de façon visible, c’est aussi grâce à la présence des sections de CRS. Elles sont au nombre de 3 en journée, plutôt l’après midi et aussi en soirée. Les CRS sont des unités de maintien de l’ordre, elles n’ont pas pour mission de saisir quoi que ce soit, ou de verbaliser une infraction, mais les hommes en bleu patrouillent dans les rues du quartier, pour qu’on les voit. Présence de tous les instants ! Occupation et reconquête de l’espace public. 
 
Marlboro, Marlboro ! 
 
Parlons des cigarettes dont les vendeurs, eux aussi, savent occuper l’espace public. C’est une des priorités des forces de police et la tâche est immense. Les cigarettes de contrebande fumées en France se comptent par milliards. Oui, par milliards. Déjà plus de 45 milliards dans le réseau officiel des buralistes. Les tonnages saisis à Marseille, à Toulouse, à Bayonne, en Seine-Saint-Denis, dans le Val d'Oise... eux aussi sont impressionnants.  Et ne datent pas d'hier....
 
Nous avons fait quelques recherches dans la presse pour mieux comprendre le sujet : 
  • en 2010 déjà, les policiers estimaient que 500 cartouches de fausses cigarettes étaient écoulées tous les jours à Barbès, générant plus de 15000 € de profits quotidiens (France Soir du 1er juillet 2010)
  • en septembre 2011 : une très grosse prise dans le Val d'Oise, 11 tonnes de Marlboro et de cigarettes "made in China" (Le Point du 1er mars 2013)
  • en 2012 : 371 tonnes de cigarettes de contrebande et de contrefaçon ont été saisies en France, annonçaient les douanes (Le Point du 1er mars 2013), un peu moins qu'en 2011... ! 
  • en avril 2015, on pouvait lire dans le Parisien les déclarations de la commissaire d'Aubervilliers, Fabienne Azalbert (actuellement dans le 18e) : "Les cigarettes sont achetées 1 € le paquet en Afrique, sont transportées par des mules et revendues 4 €. Il s'en écoule environ 200 cartouches par semaine ». Un trafic dont l'organisation rappelle celle des stupéfiants « avec des vendeurs de rue, des ravitailleurs, un trésorier… »
  •  dans l'Express/Expansion de juin 2015, des détails encore : La contrebande en provenance du sud de la Méditerranée n'est pas une spécialité phocéenne. En Seine-Saint-Denis, 14% des paquets sont originaires du Sénégal ou d'Afrique du Nord - essentiellement d'Algérie. Les importations illicites de cigarettes algériennes ont explosé ces dernières années. En France, elles auraient atteint 2,7 milliards d'unités en 2014, selon une enquête, publique celle-là, menée par la société d'audit et de conseil KPMG pour le compte des producteurs de tabac. 1,7 milliard de plus qu'en 2012. 
  • En Algérie, une cartouche de dix paquets de Marlboro coûte 13 ou 14 euros si l'acheteur la paie en dinars, 20 à 30% moins cher s'il débourse des euros. Dans les rues de Marseille, les demi-grossistes la cèdent pour 30 à 35 euros aux revendeurs qui, eux, la monnaient 50 euros aux fumeurs. D'après Philip Morris, ce commerce engendrerait un chiffre d'affaires annuel de 159 millions en Seine-Saint-Denis. Pour la seule ville de Marseille, il rapporterait 42 millions d'euros. 
  • Enfin pour terminer par une saisie récente, à Bayonne cette fois, relatée dans Sud Ouest du 8 décembre 2016
  • 6,5 tonnes de cigarettes ont été saisies à la frontière franco-espagnole, suite à la fouille d’un camion frigorifique en provenance d’Espagne et immatriculé au Royaume-Uni. Les paquets, par milliers, étaient dissimulés derrière des cagettes de salade. Les agents ont dénombré au total 18 palettes de cartons renfermant des cigarettes de contrebande dépourvues de vignettes fiscales, soit 324 000 paquets de cigarettes. La valeur de la marchandise est estimée à plus de 2 millions d’euros

Nous voyageons à travers le pays pour vous montrer que la tâche est immense, que le trafic est juteux et finalement peu risqué, bien moins que celui lié à la drogue.  Il est aussi à la portée du premier venu, qui n'a pas trop froid aux yeux, ainsi à Toulouse il n'est pas rare que les douanes saisissent des quantités importantes de cartouches achetées en Andorre, seulement distante de 190 km, où elles sont moins taxées donc moins chères. Produit peu périssable, la revente génère de bons profits.

Et à Barbès ?

Les policiers en opération à Barbès ont eu la main heureuse ces jours-ci, puisqu'à deux reprises ils ont pu découvrir un stock, ce qu'ils appellent une nourrice :

  • le 26 janvier, au 7 rue des Islettes, 390 paquets de cigarettes. Les deux trafiquants ont été interpelés, puis déférés, et sont convoqués à comparaitre devant le Tribunal correctionnel le 16 mai prochain, devant la 24e chambre.
  • le 31 janvier, dans le cadre d'une nouvelle opération ciblée contre le trafic de cigarettes et menée avec les Douanes, un trafiquant a été interpelé. Il s'agit d'un ressortissant tunisien de 41 ans. Un stock composé de 185 paquets de cigarettes et de 20 paquets de tabac à chiquer a été découvert dans un local désaffecté de la rue de la Charbonnière. L'enquête se poursuit. 

C'est un travail de fourmis. Il faut d'autant plus encourager les policiers qui s'y acharnent. L'offensive actuelle est tous azimuts. C'est aussi ce qui fait ses chances de succès. 

Nous nous sommes engagés à signaler les caches que nous connaissons. Certaines sont évidentes, tant il est devenu banal pour les trafiquants et les revendeurs de vaquer à leur occupation quotidienne. Samir Lebcher, le kiosquier, avait eu ces mots en répondant au Préfet le 18 janvier "certains vont à Barbès comme nous allons au bureau, ils viennent ici vendre des cigarettes !" Il faut que nous réagissions aux comportements délictueux. Ils ont pris trop de place dans notre quotidien. 

Dans les prochains jours, un coup de projecteur sur les mineurs isolés, qui tombent trop facilement dans ce trafic, faute d'attache familiale. Un autre sur la prostitution et sur les troubles de voisinage (bruit, malpropreté, rats...) 

Nouvelle de dernière minute, une communication de la mairie du 18e qui évoque une opération de grande envergure sur les commerces qui a eu lieu mardi dernier.

 

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La Gitane contre le cow boy de Marlboro... 

(Vieilles publicités de l'industrie du tabac)

Commentaires

  • Bonjour et merci une fois de plus pour ce compte-rendu instructif. Il est vrai que les opérations menées ont donné quelques améliorations à certain moment au niveau des ventes illégales devant les entrées d'immeubles et il faut absolument poursuivre ces efforts sur du très long terme . Ce n'est pas très rassurant de lire que cela ne pourra pas s'inscrire dans la durée.
    Et en ce qui concerne l'occupation des trottoirs par les commerces du boulevard franchement je n'ai absolument pas vu le moindre changement ; il était toujours aussi difficile de circuler sur les trottoirs sans devoir slalomer entre les clients desdits commerces et les vendeurs à la sauvette. Il va effectivement falloir changer de braquet car les mauvaises habitudes se perdent lentement !

  • Les lieux que vous citez sont des immeubles de logements sociaux, appartenant à la ville de Paris (ce qui ne surprendra pas les riverains, qui voient les détaillants faire d'incessants allers retours pour aller s'y ravitailler). Cela pose deux questions. D'une part il existe un service de sécurité spécifique aux logements sociaux parisiens, le GPIS. On voit souvent ses équipes la nuit, dans leurs véhicules à l'arrêt rue de La Charbonnière, c'est à dire au seul moment où le secteur est tranquille. On pourrait imaginer qu'ils soient présents le jour et contribuent à reconquérir le terrain, à sécuriser ces immeubles et y perturber les trafics. D'autre part, le bilan officiel des saisies dans le quartier est proche de zéro : 500 cartouches, c'est à dire un 365eme de ce qui y est écoulé en un an selon les mêmes sources. Une seule saisie importante en Ile-de-France, il y a 6 ans, aucune à Paris, d'après les chiffres que vous citez. Comment est-ce possible ? Qui peut croire un instant que la police n'ai jamais repéré un seul grossiste, qu'elle ne puisse pas prendre en filature des demi-grossistes pour remonter une filière, qu'elle ne dispose pas d'indicateurs parmi les revendeurs, etc. ? Cela fait 15 ans que j'observe cette situation (je connais certains vendeurs de contrefaçons de la Porte de Clignancourt depuis au moins 10 ans...), et je me dis qu'il y a là, pour le moins, un gros "bug". On aimerait connaître les explications des autorités sur ce qui apparaît comme une impuissance surprenante, d'autant plus que la politique du harcèlement et du coup d'épée dans l'eau a fait la preuve ces dernières années de sa totale inefficacité.

  • Etant donné l'argent que rapportent ces trafics, je ne vois pas comment on peut en venir à bout. Il y a une offre et une demande très importante. Si on coupe les trafiquants de leur trafic de Marlboro, on leur offre quoi à la place ? un travail pour tous, payé au smic ? quel travail ? C'est à ce niveau que le problème se règlera. Dans l'immédiat, avec la grande misère passée, présente et future, les trafiquants se reporteront sur une autre activité illicite. Je ne vois pas ces équipes accepter une grande baisse de leur rémunération en travaillant légalement, avec un patron sur le dos du matin au soir.
    Précisions : dans les logements sociaux, il y a des gens parfaitement éduqués.
    Bon courage à Action Barbès et à Monsieur Le Commissaire.

  • Les gens qui habitent les logements sociaux dans des quartiers "sensibles" sont les premières victimes des trafics et de l'illégalité. Si l'on suit votre raisonnement, il faudrait tolérer cette activité pour éviter pire (il faudrait peut-être créer un "carré Marlboro" ???). Comme si l'on disait que pour éviter que les gens brûlent les feux rouges il faudrait accepter qu'ils passent à l'orange bien mûr... Mais ça ne marche pas comme ça, ça marche même exactement dans le sens contraire. Rendre plus difficile, moins rentable, les petits trafics, c'est aussi et surtout lutter contre les très gros trafiquants qui, comme toutes les mafias, prospèrent sur la misère et les miséreux.

  • @JD : pour vous faire bisquer un peu, des rapports parait-il très sérieux viennent de démontrer que le trafic automobile en ville est beaucoup plus fluide et moins dangereux sans feu rouge. Comprenne qui pourra :-)

  • Des rapports non moins sérieux prouvent que quand on supprime les lois, il n'y a plus d'infractions à celles-ci. ;-)

  • Bonjour, quand est la réunion avec l'a commissaire Riigon pour faire le point sur la contrebande de cigarette? Merci beaucoup.

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