Intitulée " Les mineurs isolés non accompagnés dans l’espace public et la situation dans le quartier de la Goutte d’Or", la réunion publique organisée salle Saint-Bruno mercredi 6 décembre par la mairie du 18e a fait salle comble. Certaines personnes ont même eu des difficultés à entrer pour des raisons de sécurité compréhensibles.
Pour répondre aux questions et aux inquiétudes des habitants, c'est Eric Lejoindre qui présidait la réunion accompagné de deux adjointes à la maire de Paris: Dominique Versini chargée des solidarités, de la lutte contre l'exclusion, de l'accueil des réfugiés et de la protection de l'enfance et Colombe Brossel chargée de la prévention et de la sécurité. Présents également, Valérie Goetz commissaire du 18e, Laetitia Félici vice procureure de Paris, Gilles Petit-Gats, directeur général du centre d’action sociale protestant (CASP) et Jean-Paul Raymond directeur de la DASES (direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé).
Une situation inédite
De l'avis de l'ensemble des intervenants à la tribune, le problème est grave. Des mineurs non accompagnés arrivent essentiellement du Maroc et ce depuis environ un an, un phénomène constaté dans d'autres pays européens tes l'Allemagne et la Norvège. On a appris qu'il y en avait également dans le sud de la France (Nîmes par exemple) et plusieurs milliers en Espagne.
D. Versini a expliqué se retrouver face à une situation nouvelle et très difficile à gérer. En effet, les enfants et adolescents que nous croisons à la Goutte d'or mais aussi dans le 19e et le 10e refusent toute prise en charge. Ceux qui ont accepté parfois de passer la nuit dans un accueil d'urgence soit ont fugué soit ont commis des actes violents. Ils ont des comportements de fonctionnement en bande et pour certains vivaient déjà ainsi au Maroc. Que fait-on alors avec des mineurs qui se mettent en danger en consommant des substances telles qu'alcool et drogues et commettent des actes de délinquance ? On imagine aisément dans quel état d'hygiène et de santé peuvent être ces enfants. La ville a essayé de travailler avec les méthodes habituelles notamment en organisant des maraudes avec l'association Hors la rue. "A la ville, on a pris conscience qu'il fallait trouver d'autres pistes" a précisé D. Versini.
Que propose la ville de Paris ?
Un lieu d'accueil de jour dans le secteur nord ainsi qu'un lieu de mise à l'abri la nuit (hors de Paris) devraient être rapidement trouvés et opérationnels. Par ailleurs, une équipe fera le lien entre les deux dans la rue, 6 jours sur 7 du mardi au dimanche, 24h sur 24. C'est Gilles Petit-Gats du Centre d'action sociale protestant qui sera responsable de ce dispositif avec une vingtaine de personnes sur le terrain. Cette association, reconnue d'utilité publique, a une expérience pour avoir travaillé sur des secteurs comme les Halles et la gare Saint-Lazare depuis 1980. Il faudra du temps pour amener les jeunes vers une acceptation de protection à laquelle ils ne veulent pas croire. Dominique Versini a prévenu "on promet des moyens, une organisation, des professionnels mais il ne faut pas attendre des avancées dans huit jours!"
Des contacts ont été pris récemment avec l'ambassade du Maroc et une association marocaine l'Amesip qui oeuvre depuis de nombreuses années auprès des enfants des rues (notamment à Rabat). Cette annonce et la possibilité de retrouver les familles de ces jeunes pour éventuellement recréer les liens dans leur pays d'origine a suscité des réactions très violentes de représentants d'une autre association française (qui n'a pas donné son nom), venus avec quelques mineurs. Pour eux, ces enfants ont déjà connu la violence dans leur famille donc pas question de les renvoyer au Maroc ; de plus des propos critiques ont été entendus sur l'Amesip. Des membres de l'Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) ont regretté que tous les acteurs n'aient pas été consultés.
Quant au quartier en lui-même, C. Brossel reconnait qu'il n'avait pas besoin d'un problème supplémentaire et admet une hausse objective des faits de délinquance. De nombreux riverains lui ont fait part d'un climat de peur qui a fini par s'installer ; des commerçants craignent de ne pouvoir rester plus longtemps. La ville a décidé de fermer le square Alain-Bashung squatté par ces jeunes et de lui attribuer la présence d'un gardien, mesure provisoire. Des efforts vont être faits pour l'éclairage (réparations et installations nouvelles) particulièrement sur la placette Polonceau qui devrait faire l'objet d'un réaménagement rapide. "Ce sera un chantier prioritaire" a ajouté l'élue.
Le mot de la vice-procureure
" Ces enfants sont avant tout en danger ; ils sont à la fois victimes et auteurs " a commencé Laetitia Félici. Chaque jour, le parquet des mineurs est saisi. La grande difficulté est de les identifier et donc de les connaître. Car ils ne donnent pas leur nom, leur âge et utilisent parfois des identités différentes. Les tentatives de placement (surtout la nuit) sont vouées à l'échec (fugues, comportements violents). On en récupère dans les Autolib fréquemment. Ils ont une capacité de résistance pour une quelconque prise en charge et retournent donc à la rue. "Il nous faut donc trouver d'autres méthodes et être modeste" a t-elle conclu.
Le mot de la commissaire
Avec son franc-parler habituel, Valérie Goetz a fait part des difficultés que ses agents rencontrent au quotidien, sans compter qu'il n'y a pas que des mineurs marocains dans l'arrondissement. Pour elle, une telle situation n'est pas arrivée depuis la seconde guerre mondiale où beaucoup d'enfants se retrouvaient sans famille. On a à faire à une vraie délinquance et pas seulement dans le 18e avec notamment des cambriolages dans les départements de la petite couronne. Dans le quartier de la Goutte d'or, la commissaire voit les plus jeunes dormir dans les sèche-linge de la laverie de la rue de la Charbonnière. Certains sont déjà sous la coupe d'adultes bien ancrés dans le secteur et participent aux trafics de cigarettes et de drogues. Ces mineurs sont en très mauvaise santé pour cause de malnutrition et de prises de stupéfiants, sans oublier un manque affectif flagrant mais qu'ils ne revendiquent pas d'après elle. "Je dois aussi penser à la protection des riverains et je ne peux pas faire ce que la loi ne nous permet pas de faire" a martelé V. Goetz.
Une question est revenue plusieurs fois, celle de la toxicomanie ancrée dans ce quartier et qui touche aussi ces mineurs. Quelle prise en charge et quel statut pour des mineurs toxicomanes? a t-on entendu dans la salle.
Deux mineurs se sont exprimés, leurs propos traduits par une responsable associative. La ville aurait peut être pu prévoir un traducteur mais à sa décharge elle n'imaginait sans doute pas que des jeunes seraient présents.
En conclusion, on ne peut nier l'énormité de l'enjeu. En France, la loi avec l'ordonnance de 1945 impose de protéger les mineurs. Mais comment faire quand ils n'acceptent pas la protection de l'Etat? Les élus de la ville ont interpelé le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb face à un problème qui dépasse largement le 18e et Paris. La prochaine réunion devrait se tenir fin mars début avril; d'ici là espérons des réponses de l'Etat et bon courage aux acteurs de terrain!