Voici déjà presque trois ans qu'Arsène nous a quittés. Arsène ? C'était le vieux monsieur, cordonnier de métier, assis au fond de son échoppe de la rue de Dunkerque, Paris 9e. Une toute petite boutique coincée entre un marchand de tapis et une vendeuse de colifichets indiens. Un vieil homme à la vie bien remplie. Nous en avions parlé ici même dans le blog, en avril 2012 pour lui rendre un dernier hommage.
Sa boutique était devenue son lieu de vie unique. Plus facile en vieillissant que de prendre les transports en commun... Les voisins lui ont rendu visite et l'ont soutenu tout au long de cette période. Mais que penserait-il de la transformation de sa boutique en salon de massage ? Difficile à dire.
En utilisant la fonction décrite ci-dessus, nous avons remonté le temps et retrouvé l'image désuète de la cordonnerie de l'époque (mai 2008). Le grand âge d'Arsène et ses humbles revenus ne permettaient pas des réfections de façades.
Mai 2012 à gauche : Arsène nous a quittés. Les volets de la boutique restent fermés. A côté, la boutique de prêt à porter et accessoires est devenue un "Beauty time"...un salon de beauté. Presque par capillarité, cette activité ne tardera pas à s'étendre à la vieille cordonnerie (septembre 2013, photo de droite), avant d'être rénovée assez récemment et de s'afficher clairement comme salon de massage, de la tête, des épaules, des pieds, du visage, le tout traditionnel chinois. Un lieu de relaxation.
Les salons de massage se sont multipliés depuis une dizaine d'années. On peut douter que le nombre des amateurs de massages asiatiques se soit développé dans les mêmes proportions. Pourquoi ? Parce que si tel était le cas, le massage, comme la kinésithérapie, étant une activité de proximité, leur présence serait alors assez répartie et homogène sur l'ensemble du territoire, au moins sur la totalité des arrondissements parisiens. Or c'est loin d'être le cas. Ils se sont d'abord concentrés dans certains quartiers seulement, particulièrement les 2e, 3e, 4e, 9e, 10e et 18e, d'après la presse qui a souvent traité le sujet.
Faut-il en conclure que les locaux en pied d'immeuble étaient plus souvent vides, plus nombreux et accessibles dans ces arrondissements, moins prisés ou devenus trop chers pour les commerces traditionnels ? Le commerce de proximité avait-t-il décliné au cours des années 2000 et laissé des murs vacants ? Les premières inquiétudes, premières plaintes de la part des habitants, dont nous nous souvenons, provenaient dans le 9e des rues Rodier, de la Tour d'Auvergne... et avaient été exprimées en conseil d'arrondissement et en réunions plénières de conseils de quartier. Mais en quelques années, le phénomène s'est étendu et a touché tout Paris. En 2011 déjà, on comptait 127 instituts de beauté et une trentaine de salons de massage dans le seul 17e. C'était déjà une activité rémunératrice ! (information du Parisien repris dans le bloc note de Geoffroy Boulard, élu du 17e). Les "beaux quartiers", touchés à leur tour, n'appréciaient pas : Claude Goasguen, maire du 16e, saisissait alors le préfet de police pour qu'il intervienne. (Le Parisien 31 octobre 2011).
A plusieurs reprises (Le Parisien 9 octobre 2013, 11 avril 2014 et 27 mars 2014 entre autres) la police a démantelé des réseaux de prostitution qui géraient des salons de massage. Nous sommes donc assez légitimes pour penser que tout ce qui se passe derrière les vitrines opaques n'est pas que du massage zen ! En apporter la preuve est une autre histoire. Il faut dire aussi que les salons de beauté existent bel et bien... et que le massage a des propriétés assez sensuelles.
Toutefois encore récemment — octobre 2014 — une affaire gérée par la Brigade de répression du proxénétisme (BRP) se concluait par la mise en garde à vue de gérants soupçonnés d'employer des masseuses faisant commerce de leurs charmes (rue Manuel et Bellefond). Une publicité en ligne pour un salon situé dans ce secteur ne précise-t-elle pas que le salon ne reçoit que des hommes ? Quant à la vidéo sur son site – déconseillée aux moins de 16 ans ! — elle laisse peu de doute sur la nature de la prestation finale.
C'est un sujet que nous avons déjà traité plusieurs fois. En mai et juillet 2012, en juillet et octobre 2013. La situation ne semble pas évoluer beaucoup. Au contraire, le nombre des salons augmente. Faudra-t-il alors se résoudre à ce statut quo et peut-être même se consoler en pensant que la prostitution est moins dure à l'abri dans un salon de massage que sur le pavé parisien entre Belleville et Ménilmontant. Il s'agit dans ces deux cas d'une prostitution majoritairement chinoise.
C'est un sujet qui divise profondément. On l'a vu lors de la tentative de légiférer sur la question, pas d'interdire la prostitution, mais de pénaliser les clients, et bien sûr de réprimer le proxénétisme. C'était il y a un an, en décembre 2013. Pour savoir comment s'en sortent nos voisins européens dans ce champ de contradictions, nous vous invitons à lire cet article de myeurop.com qui fait le point.
Il y a fort à parier que nous vivrons encore longtemps avec des salons de massage au pied de nos immeubles. Plaintes et enquêtes de la BRD ont du mal à aboutir. En revanche, les fermetures administratives grâce à l'action du fisc, de l'Urssaf et de l'Inspection du travail causent des dommages pécuniaires aux gérants proxénètes. C'est un début.
Arsène nous a emmenés bien loin des chaussures qu'il aimait réparer.
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RIP Arsène