Hôtel particulier de Mlle Guimard à La Chaussée d'Antin
Que reste t-il au juste du quartier de la Chaussée d’Antin, de celui des hôtels particuliers avec leurs salles de théâtre privées, des jardins, de la fin du 18e siècle ? C’est à un voyage dans cet univers que nous invite Guy Scarpetta à travers son roman La Guimard publié chez Gallimard. Pas uniquement dans ce quartier de la Chaussée d’Antin d’ailleurs, mais dans un monde finissant, celui des années précédant 1789.
Il faut vraiment beaucoup d’imagination aujourd’hui pour essayer de voir ce que pouvait être la rue de la Chaussée d’Antin vers 1780. Pas mal de livres en parlent et là n’est pas l’objet de cet article. Il fut le lieu d’une vie brillante, bien sûr réservée à une minorité de grands privilégiés et c’est dans ce monde fait à la fois d’un extrême raffinement mais aussi d’une grande violence sociale que l’auteur nous invite. Rue de la Chaussée d’Antin où Mlle Guimard avait fait construire son hôtel particulier, un des premiers du genre —architecte Ledoux, décorateur Fragonard — et qu’elle voulait voir comme un temple dédié à la danse et à sa muse, Terpsichore. Il ne reste rien de tout cela, détruit par Haussmann au 19e siècle.
La Guimard par Fragonard*
Marie Madeleine Guimard (1743/1816) — on dit La Guimard comme on dit La Callas, signe d’un talent et d’une notoriété sans pareils — était à la fois danseuse à l’Opéra et courtisane. Sa vie agitée d’artiste et de femme entretenue permet à Guy Scarpetta de nous proposer un roman s’appuyant sur des faits historiques mais l’œuvre reste un roman dans le sens où l’auteur nous invite à d’intéressants et originaux allers-retours entre le passé et le présent, à des considérations sur l’art et la danse en particulier, mais surtout à une description d’un passé à jamais perdu qu’il essaie de nous restituer non pas au travers des faits comme le font les historiens, mais par la narration de la vie des personnes, de leurs émotions, de leurs envies voire de leur psychologie au moment où elles ont croisé celles de La Guimard. Le tout dans une vision décapante de nos critères contemporains inadaptés à bien évaluer cette époque. Femme entretenue, La Guimard n’était pas une prostituée. Membre du corps de ballet de l’Opéra qui, à l’époque, ressemblait plus à un sérail pour les nobles libertins, elle n’en est pas moins une véritable artiste soucieuse de son art dont elle devient rapidement la grande figure, la dernière de la danse baroque.
Ponctué de considérations diverses et souvent étonnantes sur les arts, le temps qui passe, l’évolution des choses, le roman vaut surtout par la puissante évocation de ce passé que nous avons bien du mal à appréhender. Que ce soit les codes sociaux et les relations humaines qui y sont associées, les relations amoureuses et les plaisirs liés à l’amour qui y tiennent une place prépondérante, que ce soit les façons de s’habiller et les extravagances qui vont avec, le goût pour les arts et le théâtre tel qu’on le concevait alors en particulier, beaucoup de choses de cette fin du 18e siècle nous sont devenues étrangères au sens strict du terme et ce n’est pas le moindre des mérites de Guy Scarpetta d’essayer de nous restituer cette atmosphère évanescente et raffinée d’une part, intellectuellement et artistiquement féconde d’autre part. Tocqueville lui-même, après son voyage en Amérique en1832, a reconnu que malgré l’espèce de supériorité du « modèle » américain, le fait de n’avoir pas connu cette période de civilisation achevée de la fin de l’Ancien Régime donnait aux Etats-Unis un désavantage certain. On pourra reprocher à l’auteur de parfois se complaire dans la description de scènes érotiques, non pas qu’elles soient inutiles dans la description du processus psychologique des personnages, mais ponctuées de détails qui n’apportent rien au récit. Enfin, outre ce voyage dans le passé, le roman vaut aussi par sa fin qu’il ne faut pas dévoiler mais qui, jusqu’à la dernière ligne, maintient l’attention du lecteur.
Guy Scarpetta pense que La Guimard est oubliée et le regrette. En parler ici lui montre qu’il n’a peut être pas raison.
La Guimard
Guy Scarpetta
NRF – Gallimard – 18.50€
* le tableau de Mlle Guimard par Fragonard présenté au Louvre a fait l'objet d'une vive controverse. Les experts disent aujourd'hui qu'il s'agirait non pas de Mlle Guimard mais de Mme de Grave.
Commentaires
Merci pour cette découverte, et cela m'a donné une grande envie de lire ce roman. Et d'ailleurs, il est immédiatement disponible dans 7 librairies dans le 9e, 10e et 18e arrondissements, comme on peut le voir sur le site de ParisLibrairies:
http://www.parislibrairies.fr/dlivre.php?gencod=9782070121106
C'est génial ce site de ParisLibrairies !
Il faut absolument mettre le lien dans la barre des signets ! ou dans les favoris pour les utilisateurs de PC.