Nous continuons nos interviews de personnalités politiques, présentes dans nos arrondissements autour de Barbès, dans la perspective des municipales de l'année prochaine. Aujourd'hui rencontre avec Myriam El Khomri que nous avons rencontrée à la mairie du 18e.
Nous nous connaissons depuis longtemps, fréquentant les mêmes conseils de quartier, les mêmes réunions du comité de Pilotage Barbès, aussi nos questions ne vont-elles pas vous surprendre.
Mais d'abord quelques mots de présentation pour nos lecteurs un peu éloignés de Barbès, car nous en avons aussi. Vous êtes élue du 18e arrondissement, et adjointe au maire de Paris chargée de la prévention et de la sécurité, depuis 2008.
Vous êtes très active dans le comité de pilotage Barbès mais aussi dans le comité de suivi de la ZSP Goutte d'Or – Château rouge auquel notre association a participé lors de sa dernière réunion. Maintes fois, nous vous avons contactée pour des problèmes de ventes illicites de cigarettes, ou pour l'occupation de l'espace public par des marchés sauvages, dans les rues situées autour de la station de métro Barbès-Rochechouart. On ne constate pas une amélioration flagrante et nos adhérents ne manquent pas de nous en faire la remarque. Nous entrons en campagne pour les municipales de 2014, vous allez y prendre toute votre place en tant que porte-parole d'Anne Hidalgo et nous allons suivre de près le projet pour la prochaine mandature.
- Concernant la sécurité justement, comment voyez-vous l'incidence de la récente réorganisation de la DPP (direction de la prévention et de la protection) au niveau de ces objectifs et du redéploiement des moyens sur la vie des Parisiens ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots et aussi ce qu'ils peuvent en obtenir au niveau de leur tranquillité, et de la régression des incivilités par exemple ?
La réforme engagée en 2012 avait pour but un rééquilibrage vers les quartiers populaires. Il y a eu création de 6 circonscriptions au lieu du découpage ancien avec une équipe VTT dans chacune d'elles. Des secteurs ont été définis comme prioritaires, le Nord avec les 9-18 et le Nord-Est aves les 19-20. Le 10e est couplé avec le 11e et forme la zone Centre.
On a créé un mouvement des postes administratifs vers des postes de terrain. La NBI ZUS (nouvelle bonification indiciaire de zone urbaine sensible) qui est attribuée à certains personnels travaillant en zone urbaine sensible permet de fidéliser des agents sur le quartier les plus difficiles.
Les deux objectifs étaient 1° que les forces de la DPP soient plus accessibles pour les parisiens et plus présentes sur le terrain et 2° qu'elles aient recours à davantage de verbalisation, bien sûr en complémentarité avec la police. Un indice est révélateur : il y a eu autant de PV pour les 6 premiers mois de 2013 que pour toute l'année 2012, dont beaucoup concernent l'insalubrité et les terrasses et étalages. Pour vous donner une idée, depuis le début de la ZSP sur le quartier de la Goutte d'Or, les agents ont dressé 353 PV sur terrasses et étalages (une soixantaine pour le seul mois de mai) et 762 PV pour insalubrité, dont 580 pour épanchement d'urine ! On expérimente aussi les urinoirs de rue, à la demande des habitants.
Nous avons marqué une certaine distance avec cette « bonne idée » car certains urinoirs sont situés en plein vent, au beau milieu du passage des piétons, et sont peu propices à provoquer des épanchements, justement... Nous avions écrit sur les premiers apparus à l'été 2010 près de la rotonde de La Villette.
Les aménagements de voirie sont importants aussi pour améliorer la situation : par exemple, l'élargissement de l'allée centrale du marché de La Chapelle (sous le viaduc du métro) semble donner satisfaction. Elle permet de limiter l'occupation par les volants (petits marchands sans autorisation) et facilite le passage de la clientèle. Pour info, la sécurisation du marché par les ISVP —inspecteurs de sécurité de la ville de Paris— a déjà demandé 495 heures de présence depuis octobre 2012.) De même, la présence de CRS est dissuasive et a toute sa place dans le dispositif en attendant les groupes renforcés. Nous aurons des policiers fidélisés à partir de janvier 2014 avec un gros effort sur les sorties d'école confiées aux gardiens de la paix (2500 policiers supplémentaires sur le national, en priorité sur les ZSP.) L'arrondissement devrait en bénéficier.
Les ISVP font aussi respecter les autorisations de terrasses et étalages, ils n'hésitent pas à verbaliser en cas de récidive de certains commerçants : le PV peut être requalifié et atteindre 1500 euros sur décision du tribunal !
Nous évoquons le haut du Magenta qui sur ce plan n'est pas exemplaire. Myriam El Khomri note qu'une intervention peut être demandée. Elle nous fait remarquer aussi que le magazine A Paris consacre un article ce mois-ci aux inspecteurs de la DPP.
- Plusieurs fois nous avons eu des échanges au sujet des adolescents originaires d'Europe de l'Est que nous croisons dans les transports en commun, notamment sur la ligne 2, mais aussi près des distributeurs de billets. Ils sont parfois très insistants voire inquiétants pour les touristes, dont la presse dit que certains, notamment les Asiatiques, commencent à craindre les conditions de sécurité à Paris. Quelles mesures peuvent-elles être prises ? Que comptez-vous faire ? Sachant que souvent ils sont mineurs et qu'ils sont sous l'emprise d'adultes organisés...
On dit souvent que ces adolescents sont originaires de Roumanie mais ils viennent aussi de Bosnie et des autres pays de l'Est. L'Etat est compétent sur ces jeunes au titre de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et l'hébergement d'urgence.
On veut travailler sur 4 axes : le démantèlement des réseaux de traite, une aide à l'enfance adaptée avec protection des mineurs, la recherche des familles, et la création de centres avec un placement transfrontalier quand la famille est au pays.
Depuis l'automne 2010, cinq réseaux ont été démantelés. Rappelez vous du réseau Fehmi Hamidovic dont la presse s'est fait l'écho en mars à l'occasion de l'ouverture du procès. Quand il est tombé, on a constaté 50% de baisse des vols à la tire ! Il avait des jeunes filles un peu partout dans un réseau ramifié spectaculaire, de l'Italie à l'Espagne. En réalité, je déplore que la traite des enfants semble peu considérée par l'Europe et trop peu sanctionnée pénalement, car Hamidovic avait déjà été jugé et incarcéré en Autriche. Trop peu ! Les réseaux sont extrêmement bien organisés. Ils connaissent parfaitement les dispositifs juridiques européens et s'adaptent rapidement, voire se reforment avec un autre membre de la famille. Une fois qu'on a interpellé les chefs de réseaux, si les jeunes filles sont majeures, elles vont à Madrid où la loi tolère la prostitution. Quant aux mineurs, ils ne restent pas sans « tuteurs » bien longtemps, ils retournent vers leur bourreau ! Dans de rares cas, si l'on réussit à les convaincre de sortir de cette vie de délinquance, ils sont conduits dans des centres éducatifs, des internats, mais ils fuguent très vite. Notre aide à l'enfance est mal adaptée en France pour les enfants victimes de ces réseaux.
Il faut savoir que la moitié des mineurs incarcérés à Paris sont originaires des pays de l'Est.
On cherche donc à créer un endroit sécurisé, parallèlement il faut retrouver les familles, puis tenter un retour au pays d'origine. Une autre piste que nous explorons est le placement transfrontalier, c'est à dire à proximité de leur famille d'origine et par conséquent de leur pays d'origine.
En juin, 20 policiers roumains viennent donner un coup de main à Paris, ce n'est pas la première fois : ils permettent notamment de faciliter l'identification des réseaux.
Dans le cadre d’une actualisation du Contrat de Sécurité Parisien, le 2 juillet prochain, nous établissons avec le Préfet de Police et le Procureur de la République une fiche action spécifique du Contrat de Sécurité sur ces mineurs victimes de réseaux et autres actes de délinquance
- Début juin, le 6 précisément, une opération de police de grande envergure a eu lieu dans la Goutte d'Or, partie sud, la plus proche de Barbès. Nous avons eu des échos divers de la part de nos adhérents. Certains se sont étonnés de la manière, d'autres ont considéré qu'elle s'apparentait plus à une démonstration de force qu'à une opération vraiment efficace. Car la présence de cars de CRS à côté de certains trafics qui se déroulent tout près continue de surprendre. Qu'en pensez-vous ? Quel était le but ? Pouvez-vous donner un premier bilan de cette opération ?
L'opération du 6 juin s'est faite avec accord du parquet et sur 3 axes : le recel, les cambriolages et le contrôle d'établissements.
Il a duré une petite heure entre 15h et 16h car il fallait que tout soit terminé avant la sortie des écoles. C'était un engagement très ferme.
A ce sujet, Myriam El Khomri nous a transmis le courrier du Préfet de police, Bernard Boucault, envoyé à La Ligue des Droits de l'Homme, qui l'avait interpellé. L'association s'était en effet inquiétée du déroulement de cette opération policière. Nous reprenons ici une large partie de ses propos.
« l'ensemble des personnes contrôlées l'ont été sur la base d'une réquisition du procureur de la République et ont immédiatement disposé de l'ensemble des droits et des possibilités de recours prévus par le législateur.
Sur le fond, je souhaite vous indiquer que les contrôles réalisés le jeudi 6 juin l'ont été dans un triple objectif.
En premier lieu, les services de police ont acquis la conviction qu'un certain nombre de cambrioleurs d'habitude, particulièrement actifs sur ce secteur de l'arrondissement, étaient susceptibles de se trouver dans le quartier ce jour-là.
Le renforcement des opérations de contrôle trouve toute sa place dans le cadre de la mise en oeuvre énergique du plan de lutte contre cette forme de délinquance mis en oeuvre à l'échelle de l'agglomération parisienne.
En second lieu, cette opération visait à lutter contre un certain nombre de receleurs spécialisés dans la revente immédiate d'objets provenant précisément de cambriolages ou de vols avec violence, ainsi que les constatations policières l'ont établis.
Enfin, le contrôle simultané de plusieurs établissements, commerces et débits de boissons, qui constitue l'une des priorités des services de la préfecture de police dans le cadre de la ZSP, a constitué le dernier volet de l'opération...
Deux établissements ont été fermés et deux autres devraient l'être prochainement...
L'opération a donné lieu à des suites judiciaires, 16 personnes étant placées en garde à vue pour des infractions autres que celles relatives au droit au séjour, notamment pour des faits de recel, de port d'arme prohibé ou en raison de l'existence de fiches de recherche.
Il est exact que certaines personnes ont vu leur situation administrative contrôlée et ont pu être conduites, en raison d'une infraction à la législation sur le séjour, dans un centre de rétention, d'où elles ont pu faire valoir leurs droits.
Ces opérations de contrôle, organisées ponctuellement et à bon escient ont vocation à venir en appui du travail de fond des fonctionnaires de police locaux... »
Myriam El Khomri nous a enfin informés de sa visite à Genève, accompagnée notamment du commissaire du 10e, Gilbert Grinstein, pour rencontrer les responsables de Quai 9 (présents lors de la réunion publique sur la Salle de consommation à moindre risque, le 11 juin à la mairie du 10e – voir notre article).
Commentaires
Le Parisien de ce samedi relate également les problèmes de délinquance et le rapport, rendu public tout récemment, de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). A lire pour découvrir le portrait des délinquants : http://www.leparisien.fr/espace-premium/paris-75/une-majorite-de-mineurs-chez-les-multirecidivistes-29-06-2013-2937211.php
Ils sont majoritairement mineurs, souvent originaires de Roumanie ou d’Europe balkanique. Pour la première fois, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) dresse un portrait extrêmement détaillé des délinquants multirécidivistes, interpellés sur le territoire du Grand Paris (la capitale et les départements de petite couronne). Le rapport que vient de rendre public l’ONDRP utilise les données statistiques de la préfecture de police deParis, à partir d’un échantillon représentatif de 1508 personnes ayant été mises en cause à au moins cinq reprises pour des crimes et délits (non routiers) entre 2009 et 2010.
Un tiers a moins de 16 ans. Le constat est sans appel : parmi les délinquants à répétition, arrêtés au moins cinq fois sur le territoire du Grand Paris, plus de la moitié (53%) étaient mineurs au moment de leur interpellation et un tiers d’entre eux (32%) avait même moins de 16 ans. En revanche, ces jeunes garçons et filles multirécidivistes — certains ont été arrêtés une dizaine de fois en un an — sont majoritairement impliqués dans des affaires de faible gravité, notamment des vols simples, sans violence.
Une délinquance venue de l’Est. Autre particularité dévoilée par l’étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales : un tiers des multirécidivistes interpellés dans l’agglomération parisienne en 2009 et 2010 étaient de nationalité étrangère. 60% d’entre eux sont originaires de Roumanie et d’Europe balkanique. Il s’agit majoritairement de jeunes filles mineures, « travaillant » sous le joug d’organisations criminelles, qui les contraignent à dépouiller les touristes dans le métro parisien et sur les sites les plus fréquentés de la capitale. Depuis plusieurs années, des policiers roumains sont affectés à Paris pour aider leurs collègues français à lutter contre ces réseaux organisés de traite des êtres humains.
Cambriolages et escroqueries : les adultes en première ligne. Concernant les vols avec destruction et dégradation, les cambriolages, la délinquance économique et même le trafic de stupéfiants, changement radical de décor. Les multirécidivistes qui sévissent dans ces domaines à Paris et en petite couronne, sont généralement des hommes adultes, le plus souvent français. Les vols de voitures, enfin, étaient, dans l’échantillon choisi, à 100% le fait d’hommes, hyper spécialisés dans ce type de délinquance, et mis en cause près de 18 fois, en moyenne, dans les mêmes faits.