Certains défenseurs du calamiteux projet de réhabilitation du Louxor font appel à la Charte de Venise pour justifier le bien-fondé des opérations prévues dans le projet de l'architecte Philippe Pumain sous l'égide de la Mission Cinéma de la Ville de Paris. Il n'est donc pas inintéressant de lire attentivement cette Charte avec en tête les éléments spécifiques au Louxor.
Pour commencer, qu'est ce que la Charte de Venise ?
La « Charte Internationale sur la Conservation et la Restauration des Monuments et des Sites » a été signée à Venise en 1964 lors du IIème congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques. Elle a été adoptée par le Conseil International des Monuments et des Sites (ICOMOS-UNESCO) en 1965. La Charte Internationale de Venise (PDF 71ko)
Avant d'aller plus loin dans notre processus d'analyse de ce texte appliqué au Louxor, remarquons un mot important : celui de restauration.
On nous a accusés d'élitisme, d'être savants, trop savants ! Au risque de passer pour des cuistres, nous savons l'importance des mots dans notre belle langue française.
La Charte de Venise traite de restauration : réparation, réfection - restauration d'un monument - nous dit le Larousse.
Dans sa communication concernant le Louxor, la mairie de Paris emploie le terme de réhabilitation : restaurer et moderniser un immeuble - dixit le même Larousse.
L'architecte Philippe Pumain préfère, lui, parler de restitution : rétablir, remettre en son premier état. Larousse toujours.
La nuance est subtile. Restaurer, c'est remettre en état un édifice sans y apporter de transformations notables (pour qu'il garde le plus possible son intégrité). Réhabiliter, c'est modifier, parfois de façon conséquente, le bâtiment existant, afin de l'adapter à de nouvelles fonctions ou de nouvelles exigences. Restituer, c'est faire une copie de ce qui a existé mais n'existe plus, en reconstruisant des parties disparues.
Donc, bien qu'une restauration ne soit pas une restitution, admettons que la Charte de Venise puisse s'appliquer au projet du Louxor.
Article 5 de la Charte : « La conservation des monuments est toujours favorisée par l'affectation de ceux-ci à une fonction utile à la société ; une telle affectation est donc souhaitable mais elle ne peut altérer l'ordonnance ou le décor des édifices. C'est dans ces limites qu'il faut concevoir et que l'on peut autoriser les aménagements exigés par l'évolution des usages et des coutumes. »
Aucun doute, la mise en place d'un cinéma de 3 salles correspond à une « fonction utile à la société ». Mais personne ne peut contester que la réalisation de ces 3 salles altère l'ordonnance ou le décor de l'édifice (structure de la salle réduite, balcons démolis puis reconstruits, décors enfouis dans la structure et l'isolement phonique).
Article 6 de la Charte : « La conservation d'un monument implique celle d'un cadre à son échelle. Lorsque le cadre traditionnel subsiste, celui-ci sera conservé, et toute construction nouvelle, toute destruction et tout aménagement qui pourrait altérer les rapports de volumes et de couleurs seront proscrits. »
La phrase est suffisamment claire : le projet ne conserve ni le cadre, ni la structure d'origine, il détruit et reconstruit.
Article 8 de la Charte : « Les éléments de sculpture, de peinture ou de décoration qui font partie intégrante du monument ne peuvent en être séparés que lorsque cette mesure est la seule susceptible d'assurer leur conservation. »
L'architecte Philippe Pumain a beau prétendre que la solution de l'enfouissement des décors dans la nouvelle structure est la seule possible, d'autres architectes tout aussi crédibles, nous ont affirmé le contraire.
Article 13 de la Charte : « Les adjonctions ne peuvent être tolérées que pour autant qu'elles respectent toutes les parties intéressantes de l'édifice, son cadre traditionnel, l'équilibre de sa composition et ses relations avec le milieu environnant. »
Il est clair que la destruction des balcons et la disparition des décors ne respectent pas les parties intéressantes.
la Charte de Venise préconise la conservation d'ajouts ou de modifications si ceux-ci apportent une amélioration à l'édifice. Or, rien de tel dans le cas du Louxor. On le modifie en profondeur en restituant de manière discutable une partie seulement des décors et en amputant la salle. Bref, on touche à l'intégrité tout en démolissant, ce qui n'a rien à voir avec la Charte.
Voilà comment certains pseudo-spécialistes essaient de nous endormir en utilisant un savoir qu'ils ne maitrisent manifestement pas complètement. Ou pire. Ils le maîtriseraient en détail, mais escamoteraient une application honnête des textes, car comment croire qu'ils ignorent ce que nous analysons ci-dessus, article après article ?