Après avoir parlé du patrimoine, considérons la question de la programmation culturelle.
LA PROGRAMMATION
« Le Louxor était un cinéma, il doit donc rester un cinéma ». Voilà l’argument avancé par la Ville de Paris, aidée en cela par ceux qui défendent son projet de cinéma Art & Essai. Notons d’abord que l’affirmation est un peu rapide : le Louxor était bien un cinéma à l’origine mais n’a pas été que cela. La mention Palais du Cinéma sur sa façade est trompeuse. Maurice Chevalier à ses débuts, Fats Domino, Gilbert Bécaud et bien d’autres s’y sont produits, sans parler du court intermède de la discothèque des années 80. Il n’y a donc pas de fatalité à ce que le Louxor reste un cinéma. La Mairie de Paris elle-même n’a-t-elle pas, pour quelques projets phares, changé la destination de certains équipements ? Le prestigieux projet du 104 rue d’Aubervilliers dans le 19ème ou celui de la Gaité Lyrique dans le 3ème arrondissement le démontrent.
Mais en réalité, la vraie question est de savoir si le projet tel que proposé par la Ville est adapté à Paris en général et au quartier Barbès en particulier ? Autrement dit, la réalisation d’un cinéma de 3 salles avec une programmation Art & Essai correspond elle aux attentes des Parisiens et des habitants du quartier ?
Le Syndicat des Cinémas Art et Essai a publié très récemment une intéressante enquête qui cerne le profil du public de ce type de salle. Le spectateur standard, si l’on peut s’exprimer ainsi, est une femme d’une cinquantaine d’années, issue d’un milieu dit « favorisé », qui fréquente les salles seule et habite dans les quartiers riches de Paris. Qui nous fera croire qu’il s’agit là du public que l’on trouve à Barbès ? Qui nous fera croire que ce spectateur type viendra à Barbès pour voir un film ? Les difficultés rencontrées par des salles comme La Pagode dans le 7ème ou Le Balzac dans le 8ème, deux arrondissements qui ne sont pas dans les plus défavorisés, attestent du contraire. Plus près de nous, l’excellent Max Linder sur les Grands Boulevards est contraint de partager sa programmation entre films commerciaux et cinéma Art et Essai pour assurer sa pérennité. Tous sont subventionnés par la Ville de Paris, ce qui n’est pas critiquable, bien au contraire, mais démontre leur fragilité dans un environnement pourtant plutôt favorable en ce qui les concerne.
Par ailleurs, qui pense sérieusement que le public du quartier, et en particulier celui, nombreux, de la Goutte d’Or, viendra voir des films Art et Essai dans le Louxor rénové ? Si l’implantation d’une bibliothèque rue de la Goutte d’Or correspond bien aux attentes des habitants de ce quartier, il est facile d’imaginer que ce même public ne traversera pas le boulevard de La Chapelle pour voir un film Art et Essai. C’est d’un véritable pôle de vie et de culture dont le carrefour Barbès a besoin, pôle à la pérennité assurée et indépendant de subventions souvent aléatoires, pas uniquement d’un cinéma Art et Essai.
C’est pourquoi il faut demander à la Mairie de Paris d’adapter son projet culturel, d’autant que le projet actuel entraîne la destruction de la salle. (Voir l’article patrimoine.)
On a parlé de polyvalence et cela a été beaucoup raillé, notamment par ceux qui n’en comprennent pas le sens et le limitent au terme un peu péjoratif des salles dites « polyvalentes » de nos campagnes. Par polyvalence, il convient d'entendre diversification des activités (pas seulement du cinéma) et diversification de l’utilisation du lieu (notamment par le biais des associations du quartier par exemple). Il est juste de reconnaitre que la réunion du 28 novembre a ouvert une petite brèche dans le dispositif et que des promesses ont été faites pour être plus à l’écoute. Mais tant que le projet restera dans les limites contraignantes d’un cinéma, les marges de manœuvre concernant la programmation ne restent-elles pas très étroites ?
Enfin, et là pour répondre à certaines critiques, il est opportun de dire qu'émettre des réserves sur ce qui vous est présenté ne signifie pas que l’on doive obligatoirement proposer quelque chose à la place
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On l’aura compris, respect du patrimoine et programmation culturelle sont intimement liés. La programmation culturelle, résultat d’une réelle concertation avec les habitants et associations du quartier, influe sur l’utilisation du bâtiment. Tel qu’il est conçu aujourd’hui, le projet et la méthode choisis par la Ville ne sont pas les bons. Pour respecter le patrimoine, il faut que la programmation s’adapte à l’existant. La Ville a choisi l’inverse. Pour faire du Louxor rénové un centre attractif, la Ville s’obstine à y maintenir du cinéma et uniquement du cinéma à quelques exceptions près. La Mairie de Paris fait fausse route.
Enfin, et de façon à être très clair, notre combat pour, non seulement sauver le Louxor mais faire en sorte qu’il devienne un pôle culturel vivant, ne s’inscrit pas dans une opposition systématique à ce que fait la Ville ni même dans un positionnement anti-cinéma. C’est parce que le projet est inadapté au quartier d’abord, à la ville ensuite, qu'il faut se lever, forts que nous devons être des promesses d’écoute qui ont été réitérées il y a moins d’un an lors de la campagne électorale par l’actuel Maire de Paris.