Van Dongen (1877-1968), un peintre dont la notoriété est loin d'approcher celle d'un Picasso (1881-1973), bien que leurs vies artistiques aient fréquenté un même lieu à leurs débuts et que leurs longévités n'aient rien à se jalouser, 91 ans pour l'un et 92 pour l'autre, pas mal pour l'époque. Ils étaient contemporains et même voisins (coloc' on dirait aujourd'hui !) à l'époque du Bateau-Lavoir. Venus de Hollande, ou d'Espagne, ils ont appartenu à l'Ecole de Paris et à la légende du Montmartre bohème des années folles.
Kees van Dongen est né dans la banlieue de Rotterdam, et vient à Paris en 1897 pour la toute première fois. Il s'installera deux ans plus tard, avec celle qui deviendra rapidement sa femme, une jeune Hollandaise (Augusta Preitinger), elle aussi artiste, rue Ordener puis rue Girardon. On la découvre lisant dans l'atelier du peintre parmi les œuvres exposées. Certains titres d'article ont qualifié Kees van Dongen d'artiste anarchiste... Certes, encore en Hollande, il a illustré l'ouvrage du communiste libertaire Pierre Propotkine et s'est manifesté par une certaine radicalité, mais il semble que son engagement politique ne soit pas allé très loin, ou plutôt n'ait pas duré très longtemps. Sa rencontre avec les milieux anarchistes parisiens et sa collaboration avec L'Assiette au beurre — très engagée dans les années 1905-1909 contre le colonialisme — sont davantage des témoignages de son insoumission aux normes surranées d'une société liberticide de la fin du 19e siècle.
Il participe à L'Assiette au beurre dès 1901, ne peint pratiquement pas entre 1896 et 1903, préférant à la peinture « l'art démocratique de l'imprimé », qu'il s'agisse de L'Assiette ou d'autres publications auxquelles il donne des contributions plus édulcorées, comme Le Frou-Frou, Le Rab'lais, Le Rire ou L'Indiscret. Ainsi, il écrit à un ami en 1901 : « À quoi cela sert-il de produire des tableaux qui ne servent qu'au luxe, quand nous sommes entourés partout de pauvreté ? Je préfère travailler autant que possible pour le bien commun, plutôt que pour quelques fripons délibérés ou involontaires. C'est pourquoi je dessine pour des magazines et j'ai abandonné la peinture ; je n'en fais qu'un peu, de temps en temps, et pour moi-même. »
Cité par Jean-Michel Bouhours, Nathalie Bondil, Martine d'Astier et Anita Hopmans, Van Dongen, Hazan, p112.
On note son passage au Salon des indépendants où il expose en 1904 et rencontre Henri Matisse et Maurice de Vlaminck, puis l'année suivante, c'est le Salon d'automne où éclate littéralement le fauvisme. Il fait partie de ce mouvement nouveau qui révolutionne la peinture et débute par un scandale puisque le président de la République refuse d'inaugurer le Salon d'automne de 1905 au Grand Palais.
Les premières peintures réalisées aux Pays-Bas étaient inspirées des bas-fonds du port, le quartier De Wallen, quartier rouge, où se retrouvaient les matelots et les prostituées. Personnages hauts en couleur, postures singulières, cadre passionnant. De ces années-là, il lui restera certainement le goût pour les couleurs, la provocation et les femmes. La sensualité, la liberté, la spontanéité.
Une des œuvres exposées au musée date de cette époque : Autoportrait en bleu 1895 (ci-dessus). Il a 18 ans. C'est le bleu qui domine. Le personnage est à contre-jour, sombre, massif, puissant. Presque provoquant. On sent déjà que cette toile et son auteur ont quelque chose à dire. Songez que nous sommes encore au 19e siècle.... Ce portrait pouvait surprendre et ne pas plaire.
Nombre des toiles exposées viennent de collections privées ou de musées en région, et révèlent le travail minutieux réalisé par le musée de Montmartre pour s'inscrire dans l'hommage rendu à la culture néerlandaise en 2018.
L'ombre sur le tableau de la postérité viendra peut-être de l'évolution de l'homme, d'abord pendant la Seconde Guerre mondiale où il ne prendra pas assez de distance avec l'occupant, puis de son goût pour une clientèle bourgeoise qui le fera vivre, bien vivre, et se retirer dans un cadre confortable sur le rocher... de Monaco. On lui reproche alors de faire de l'argent, en peignant, sur commande, des femmes riches ou célèbres. Ce sont plutôt ces décennies-là qui feront sa célébrité, mais dans le domaine des Beaux Arts les mondanités sont rarement synonymes de reconnaissance. A quelques exceptions près.
Malgré tout, certaines critiques que nous avons lues pour approfondir notre sujet après la visite de l'exposition au Musée de Montmartre la semaine dernière nous ont paru bien sévères. On peut lire parfois que le peintre en préférant la belle vie aux beaux arts se serait fourvoyé... notamment dans Les Echos en 2011, sous la plume de Judith Benhamou-Huet (mais l'article est réservé aux seuls abonnés). L'exposition de 2011 au musée d'Art moderne de Paris était-elle décevante ? Peut-être, nous préférons nous souvenir d'une exposition antérieure, en 2004 à Lodève (dans un musée de l'Hérault à ne pas rater dès sa réouverture l'été prochain !), expo riche de nombreuses œuvres, pas les mêmes qu'au musée de Montmartre cette année, ce qui démontre la grande diversité de l'artiste et laisse supposer que nous n'avons pas fini de redécouvrir dessins, illustrations et peintures. Pour notre part, avec un grand plaisir.
Couverture du catalogue de l'exposition de Lodève en 2004
A défaut de vous montrer nos propres photos (elles sont interdites dans le cadre de cette expo), nous vous proposons de lire le blog de Montmartre-Addict qui vous ouvre les portes de l'exposition pour mieux vous donner envie : jetez-y un œil, peut-être un regard noir et charbonneux comme ceux des femmes de Kees van Dongen !
Van Dongen et le Bateau-Lavoir
Du 16 février au 26 août 2018 au Musée de Montmartre
Ouvert tous les jours de 10h à 18h
12 rue Cortot, 75018 Paris
Commentaires
Excellente exposition en effet... Des tableaux rarement vus, plutôt plus intéressants que les plus célèbres, des oeuvres importantes que l'on peut regarder en toute quiétude, dans un rapport intime avec la peinture. Merci au délicieux musée de Montmartre, merci à AB pour l'info !