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Réponse à Philippe Pumain

Philippe Pumain est l'architecte désigné par la Ville de Paris, en charge de la rénovation du Louxor. Il a accordé il y a quelques semaines une longue interview à l'association Les Amis du Louxor (qui, à l'inverse d'Action Barbès, défend le projet tel que prévu par la mairie de Paris). Beaucoup de non-dits, d'imprécisions, d'omissions nous ont incités à demander à des spécialistes de commenter cette interview. Nous avons donc rencontré à cet effet Agnès Cailliau, architecte du patrimoine, diplômée de l'école de Chaillot et de l'ICCROM (Centre International d'Etudes pour la Conservation et la Restauration des Biens Culturels), François Loyer, historien de l'architecture, ancien directeur de l'Ecole de Chaillot, et Stéphane Ricout, architecte DPLG, spécialiste de l'architecture des salles de spectacle.

ACTION LOUXOR (AL) : François Loyer, Philippe Pumain dit dans l'interview qu'un architecte du patrimoine suit le projet avec lui. Et parle de "restauration patrimoniale" et de  "restitution". Quelque chose nous met mal à l'aise dans les termes employés tout comme la place occupée par cet architecte du patrimoine. Quel est votre sentiment ?

François Loyer (FL) : il y a pas mal de non dits dans ce que déclare Philippe Pumain, à propos de l'architecte du patrimoine associé au projet. D'abord il omet de dire que la mission de cet architecte est strictement limitée aux zones du Louxor inscrites aux Monuments Historiques, à savoir les façades et le toit. On a l'impression qu'il utilise la présence de l'architecte du patrimoine comme une caution. ...

 

On peut aussi s'étonner que cet architecte du patrimoine ne s'efforce pas d'étendre son champ de compétences à d'autres zones du Louxor - je veux parler là de l'intérieur, dont l'importance patrimoniale a été clairement démontrée par les recherches faites en 2005. Pour avoir longuement visité cette salle, je suis moi-même persuadé de la chose et on peut à la fois regretter la frilosité (pour rester aimable !) de cet architecte du patrimoine et se poser des questions sur son attitude car rien, dans sa position, ne l'empêche de se saisir de la question.

J'ajouterais qu'au détour d'une phrase, Philippe Pumain trahit l'essence même du projet puisqu'il parle de " restitution ". Chacun comprend bien la signification de ce mot !

AL : Parlons un peu technique maintenant avec vous Stéphane Ricout, et notamment de cette idée, disons le bizarre, de la boîte dans la boîte pour résoudre la question de l'isolement acoustique. Philippe Pumain justifie cette option technique par les contraintes modernes imposées aux salles de cinéma mais dans le même temps reconnaît que certaines d'entre-elles fonctionnent très bien hors normes ! Sans aller jusqu'à revendiquer une restauration qui ne respecterait pas les normes actuelles, plusieurs experts nous ont dit que d'autres options techniques étaient possibles. Quel est votre avis sur la question ?

Stéphane Ricout (SR) : il faut revenir à la source du problème. Le choix du programme culturel - un cinéma avec création de deux salles en sous-sol est une erreur fondamentale car elle ne tient pas compte de la spécificité de la salle existante, conçue en 1919 comme vous le savez. Ce n'est pas le principe de "boîte dans la boîte" qui est à remettre en cause, mais plutôt sa mise en œuvre. Telle qu'elle est prévue, la boîte dans la boîte ne conserve pas la structure existante du bâtiment. Pourquoi? Parce que la Ville veut réaliser coûte que coûte deux salles en sous-sol, et que pour cela, il faut démolir l'intérieur de la grande salle. Or, si le programme ne le prévoyait pas, on pourrait conserver la grande salle dans son "jus", et l'on conserverait autant que possible la structure avec une amélioration de l'isolement phonique et un renforcement de la structure. On pourrait obtenir une "boîte dans la boîte" techniquement moins poussée que dans le programme actuel (elle ne serait pas totalement indépendante de la structure du bâtiment), mais qui pourrait satisfaire à un usage autre que le cinéma d'aujourd'hui - en utilisant des instruments "acoustiques", par exemple - et à moindre frais. L'isolement du bâtiment par rapport aux voisins ne poserait pas de problème technique majeur, en tous cas, cela mériterait une étude poussée in situ. L'argument ne peut pas être balayé ainsi, d'un revers de main.

AL : changeons de sujet. Agnès Cailliau, Philipe Pumain parle de conservation préventive des décors. Qu'est-ce que cela signifie au juste puisque les décors vont être enfouis dans " boîte dans la boîte " ?

Agnès Cailliau (AC) : je m'interroge moi-même sur le sens de cette déclaration. Cela signifie t-il que les décors seront démontés, restaurés puis réinstallés dans la nouvelle salle ? Des déclarations précédentes, je n'ai pas compris cela. Il semble que l'on s'oriente vers une restauration d'une travée de décors avant leur enfouissement dans l'épaisseur de la double structure de consolidation des murs extérieurs et d'isolement acoustique. C'est très curieux. Cela confirme que les décors de la nouvelle salle seront des copies, puisque les décors authentiques seront définitivement enfouis dans l'épaisseur des murs.

AL : Philippe Pumain parle longuement de la consolidation du bâtiment. Il justifie toutes les modifications, ou disons plus simplement les destructions de l'existant, par des raisons de sécurité, de normes et va même jusqu'à parler de " surcharges de neige " ce qui est un peu court - voire risible - non ?

AC : l'architecte a entièrement raison de se soucier des questions de sécurité, on ne peut pas le critiquer pour cela. Mais les options choisies ne sont pas les bonnes. Prenons le renforcement de la structure par exemple. Telle qu'elle se présente aujourd'hui, la structure des murs extérieurs  de la grande salle est constituée par une série de portiques en béton, en U renversés, disposés dans le sens transversal. Ils sont contreventés par des poutres en béton, dans le sens de la longueur sur le toit. L'ossature très fine est remplie en façade par des panneaux en briques creuses séparés par un espace vide. Le bâtiment est extrêmement léger. Au lieu de supprimer le rôle de cette structure en la doublant avec une autre qui sacrifie considérablement l'espace intérieur, on pourrait très bien imaginer des techniques performantes, contemporaines, adaptées à l'édifice - par exemple, en " chemisant " les poteaux béton existants avec de l'acier, ou en remplaçant les bétons malades par des aciers de consolidation et/ou des bétons d'une granulométrie appropriée.

De toutes les manières, il faudra se résoudre à réparer cette structure. En examinant de près la surface des parements du Louxor, on y aperçoit des fers oxydés, signe de la pathologie du matériau. Maladie logique et connue, que l'on retrouve sur tous les bétons des années 1920 exposés aux intempéries et à la pollution. Il ne faut pas oublier que le matériau était encore très innovant à cette époque. Economique, léger, et facile à mettre en œuvre mais encore un peu trop audacieux.

Il faut donc dégager très soigneusement la structure, passiver les fers, etc. ... - pour employer des termes techniques.

En toiture terrasse, je ne sais pas comment sont fabriqués les soffites : il faut aussi déposer soigneusement ces caissons pour reprendre sérieusement la structure qui y est dissimulée, la réparer et la consolider.

Je précise tout de suite que l'inscription des façades à l'inventaire n'interdit absolument pas cette option. Au contraire, elle la signifie implicitement. Car elle permet le maintien  des volumes et des décors extraordinaires, avec les enduits granito, les stucs, les mosaïques, les peintures, etc. ... dans toute leur authenticité.

SR : je voudrais faire un commentaire concernant la consolidation du bâtiment, et plus particulièrement en ce qui concerne ses fondations. Nous sommes dans une zone à haut risque. N'oublions pas que la station de métro s'est brutalement affaissée lors de sa construction en 1910. On va creuser. Très bien. Mais on sait parfaitement que nous sommes dans une zone de remblais d'anciennes carrières de gypse. Il est très difficile, voire hasardeux, de mettre en œuvre du béton dans ces remblais et de trouver le bon sol. Ces actions sont très risquées, personne ne peut le contester. Va t-on se retrouver dans le même cas de figure que rue Papillon dans le 9ème très proche lors de la construction du RER B où les immeubles commençaient à s'écrouler ?

Encore une fois, on voit bien que c'est le choix du programme culturel qui implique la réalisation de deux salles en sous sol qui ne va pas. Si l'on observe avec attention avec quel art l'architecte Zipcy, en son temps, imbriquait ses fondations (semelles en béton) dans les fondations haussmanniennes de l'immeuble construit à cet endroit avant le Louxor, on mesure la brutalité avec laquelle on compte intervenir aujourd'hui dans le bâtiment actuel, qui va être réduit à une carcasse ! Zipcy eut l'intelligence de s'appuyer sur les fondations existantes. C'est tout simplement pour nous, architectes, une leçon d'humilité.

AL : revenons sur les décors. Faisons un sort à l'affirmation de Philippe Pumain disant que le décor " n'a pas un intérêt artistique majeur ". Cette sentence n'engage que lui et contrairement à ce qu'il dit, tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. Philippe Pumain se réfère à des critères d'égyptologie pour appréhender la valeur artistique de ces décors, mais ce n'est pas du tout avec ces critères qu'il convient de les regarder. Il faut les replacer dans le contexte des années d'après Première Guerre Mondiale, ces années folles où le cinéma a pris un essor considérable et pendant lesquelles de nombreuses salles de cinéma " exotiques " ont été réalisées. Se référer à l'Egypte ancienne n'a aucun sens. Partagez vous cette analyse François Loyer ?

FL : je ne l'aurais peut-être pas dit dans les mêmes termes, mais le fond me parait absolument exact. En particulier, je me demande sur quelle base se place Philippe Pumain pour dire que les décors n'ont pas d'intérêt artistique ? Il fait au passage preuve d'un certain mépris pour les artisans, passons. Il s'agit d'une décoration " néo-égyptisante ". Je sais, le mot est un peu compliqué mais il traduit le contexte spécifique des relations entre l'Egypte et la France depuis l'excursion de Bonaparte en Egypte. Le goût des Français pour l'Egypte n'a pas faibli au cours du 19ème siècle - et on pourrait même dire jusqu'à aujourd'hui, il suffit de voir le nombre de touristes français qui se rendent en Egypte ou bien le succès des salles d'égyptologie au Louvre. Tout comme on a essayé de refaire des décors dans le style grec, on a fait des décors dans le style égyptien. C'est dans ce contexte qu'il faut regarder les décors du Louxor, doublé comme on l'a déjà dit du formidable succès du film Cleopatra dans les années 1920. On peut raisonnablement dire que ces décors sont un peu la mémoire de ces années folles du cinéma.

J'ajoute que contrairement à ce qui est souvent affirmé, les décors n'ont pas été faits au pochoir. Si vous prenez la forme d'un élément de décor qui se répète et que vous le superposez avec un autre, vous voyez qu'ils ne sont pas tout à fait identiques. Nous avons donc au Louxor une décoration néo-égyptisante rare, je dirais même unique à Paris certainement.

AL : revenons à l'aspect patrimonial. Philippe Pumain affirme que " même les architectes en chef des Monuments historiques font parfois des restitutions ! " Qu'en dire, François Loyer ?

FL : comme pour beaucoup de ses déclarations dans cette interview, la chose n'est pas entièrement fausse, mais Philippe Pumain se garde bien d'en dire plus ! En vérité, les architectes des Monuments historiques ne font des restitutions qu'en cas de force majeure, quand il n'y a pas d'autres solutions (par exemple, lorsqu'un élément a été détruit et que sa disparition rend tout à fait illisibles les éléments subsistants). Donc, je comprends en creux de ce que dit cet architecte, qu'il n'y a pas d'autres solutions et qu'il est devant un cas de force majeure. Moi - et tous ceux qui défendent le Louxor - je m'inscris en faux devant cette affirmation. Pour l'instant, il n'y a pas d'alternative, car c'est le choix purement circonstanciel du cinéma à trois salles qui est contraignant. On en revient toujours à cette question. Je dis et je répète que si, comme elle le prétend, la mairie de Paris avait une vraie politique patrimoniale, elle aurait adapté le projet au lieu et non pas fait l'inverse en détruisant la salle existante du Louxor pour en faire un cinéma à trois salles. C'est d'autant plus dommage que quand elle le veut, elle le fait. Prenez le cas du 104 rue d'Aubervilliers, les anciennes Pompes funèbres de Paris. Les bâtiments ont été restaurés avec beaucoup de soin et accueillent un projet culturel original adapté. Cela a certes coûté cher. Mais le budget actuel de restitution du Louxor est de 30 millions d'€. Sans être un oiseau de mauvais augure, on peut penser que ce budget sera dépassé. Avec tout cet argent, on pourrait faire autrement. Mais la Mission cinéma de la Ville de Paris n'en démord pas, ce sera un cinéma Art & Essai, installé dans une copie du Louxor des années 1920. Ce sera sans doute très joli (encore qu'on puisse se demander si on vraiment capable de copier correctement un décor d'il y a cent ans !), mais ce ne sera qu'une copie.

Nous avons un peu attaqué Philippe Pumain ici, mais en vérité, les vrais responsables de cette mauvaise action patrimoniale programmée sont les gens de la Mission cinéma de la Ville de Paris et les élus parisiens qui soutiennent leur projet.

 

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