Chiara Calzolaio et la Goutte d’Or étaient faites pour se rencontrer. C’est rue Doudeauville que cette jeune Italienne habite aujourd’hui : « les Champs-Elysées du quartier ». Originaire de Macerata, dans les Marches, elle en est tombée amoureuse à l’occasion d’un séjour parisien précédent, dans le cadre d’un Master en anthropologie à l’EHESS. Aujourd’hui doctorante à l’Iris, elle consacre sa thèse aux violences liées à la guerre contre le trafic de drogue à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, en particulier à Ciudad Juarez (lien vers ses travaux universitaires via Ehess)
Cette ville frontalière traîne une image d’ultra violence – notamment en raison des meurtres de femmes non élucidés qui y ont été commis – mais « attention, c’est un effet d’image un peu trompeur », rapporte Chiara, qui y a séjourné à plusieurs reprises. En tout cas, le projet de salle de consommation à moindre risque, dans le 18e arrondissement, ne la laisse pas indifférente : les associations de soutien aux toxicomanes qu’elle a rencontrées outre-Atlantique l’ont convaincue de la pertinence de tels dispositifs de prévention. « Ça marche ! Au moins, les gens avec qui j’ai discuté utilisaient des seringues propres », raconte-t-elle. Chiara espère d’ailleurs participer à une étude de l’Inserm qui vise à mesurer la manière dont l’ouverture de ce type de salles modifie les pratiques des toxicomanes.
Le défi de la mixité
À la Goutte d’or, la jeune anthropologue apporte également son expérience associative, qu’elle partage avec un évident plaisir. Ainsi, aux membres de la Coopérative alimentaire, elle fait profiter de sa connaissance des « groupes d’achats solidaires » italiens, les GAS : des réseaux en plein essor – environ 900 dans le pays – qui privilégient l’achat de proximité, les produits de qualité et l’engagement social des fournisseurs. Et tout cela, bien sûr, sans intermédiaire, par la création de liens directs avec les producteurs, comme dans les Amap françaises. Lait, œufs, légumes, fruits, pain, épicerie, cosmétiques : les GAS « permettent à des gens qui n’en auraient pas les moyens autrement d’accéder à des produits de qualité, c’est-à-dire bons et produits de manière éthique ». Pour sa part, le GAS de Macerata réunit 400 familles et une vingtaine de producteurs.
Ce système, raconte Chiara, fonctionne globalement très bien. L’accent est mis sur la solidarité : octroi de micro-crédits aux coopérateurs qui traversent une passe difficile, bourse d’échange d’habits et de livres, organisation d’ateliers de cuisine, couture ou tissage selon les compétences de chacun. Certes, « des discussions infinies se nouent » parfois à propos de sujets secondaires. Certes, « les coopérateurs les plus actifs sont un peu toujours les mêmes ». Mais dans le fond, le véritable défi est ailleurs : « Le problème structurel de ce genre d’initiative, c’est celui de la mixité sociale ou culturelle ». Une formule qui rencontre bien des échos à la Goutte d’Or…
Toujours vécu
La suite ? Si la campagne manque à Chiara – éduquée aux plaisirs de la bonne chère dans le potager familial – elle aura du mal à quitter la France. Pour des raisons professionnelles, d’abord : « Je veux continuer à faire de la recherche. Or, en Italie, vu le manque de moyens publics, je ne pourrais pas. En France, c’est envisageable ».
Pour des raisons personnelles, ensuite – son attachement pour le quartier, notamment. « Bien sûr, il ne faut pas idéaliser : c’est fatigant parfois, il y a plein de poubelles partout, d’autres quartiers sont plus beaux. Mais j’aime les ponts qui passent au-dessus des gares, le café Omadis, le square Léon. Si j’ai envie du Paris classique, il suffit de monter au Sacré-Cœur. Si j’ai envie de sortir mal habillée, je le fais. C’était dur de s’installer en France, venant du Mexique ! J’ai trouvé ici un côté d’humanité que je n’ai pas vu ailleurs à Paris, beaucoup plus chaleureux. S’il m’arrivait quelque chose ici, je sais que les gens réagiraient. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé après un accident de vélo : on m’a accompagnée aux urgences. La Goutte d’Or, j’ai l’impression d’y avoir toujours vécu ».