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Louxor : intox désintox

paris,culture,patrimoine,louxor,cinémaLa nouvelle formule du quotidien Libération contient régulièrement une rubrique « Intox-Désintox ». Elle permet de relativiser certains propos d’hommes politiques qui souvent font un usage très abusif de certaines informations. Cette rubrique a un réel succès et Libération en a fait un blog.

C’est avec cette approche que nous avons lu avec attention l’article quel traitement pour les décors peints du Louxor ? publié par l’association Les Amis du Louxor.

François Loyer, historien d’art et d’architecture renommé, défenseur dès la première heure de la sauvegarde du Louxor dans son état d’origine, a bien voulu faire cette lecture critique avec nous. C'est aussi une occasion (et une leçon !) pour bien comprendre ce qu'est un défenseur du patrimoine.

Plusieurs présupposés faits par Claire Bergeaud dans cette interview sont tout à fait critiquables, nous dit François Loyer.

  • affirmer que les décors vont être préservés pour l'avenir sous l'habillage extrêmement lourd de charpente métallique, d'isolant et de parois de placage qui va les dissimuler au regard, est d'une franche hypocrisie. Qui aura les moyens de revenir sur cette reconstruction totale, dont le coût élevé (30 millions d’€ nldr) interdit au moins pour plusieurs siècles - mais, très probablement, de manière définitive - de retrouver un jour le décor intérieur ?
  • continuer à dire qu'il s'agit de décors au pochoir me paraît une erreur. Ces décors ont plus probablement été réalisés à main levée (la technique du pochoir donne des formes systématiques et des bordures imprécises assez particulières pour qu'on le remarque). Si la restauratrice est sûre que la technique du pochoir a été employée, elle doit en apporter la preuve (répétition systématique de formes semblables, de même échelle et de même contour, etc. …). Mais je doute que ce travail d'analyse ait été vraiment fait. Comme d'habitude, on se contente d'affirmations non vérifiées, le but étant de dévaluer l'intérêt artistique de l’œuvre car l’exécution sérielle (pochoir) est jugée moins valorisante que le dessin à la main ;
  • dire à propos de la grande salle que "la totalité des motifs étant identifiés tant dans leurs formes que dans leur couleur, cette restitution sera très fidèle à l’original" est d'un optimiste surprenant. Le volume de cette salle n'aura plus rien à voir avec celui d'origine et on ne pourra, à tout le mieux, qu'en réaliser une copie à une échelle moindre et dans des proportions très différentes. (Sur ce point précis de la taille de la grande salle, François Loyer s’énerve un peu nldr). Elle a été amputée de quatre mètres du côté de l'écran pour créer un passage d'accès au sous-sol (la création de nouvelles salles impose de respecter les règles de sécurité pompiers pour leur évacuation). A l'autre bout, elle perd une travée et demie, du côté de l'angle entre les deux boulevards, afin de placer des escaliers de secours et des locaux secondaires, ce qui réduit d'au moins sept rangs de sièges la profondeur de la salle. Aux étages, les deux balcons s'enfonçaient encore plus profondément, ce qui augmentait d'autant plus le volume rectangulaire "en boîte à chaussures" en soulignant sa profondeur (le mur du fond, à l'arrière des deux balcons, devenant invisible dans la pénombre). Au total, les trente mètres de profondeur ont fait peau de chagrin - certainement pas plus de vingt mètres, ce qui n'est pas la même chose ! 4 mètres d'un côté, environ 7 de l'autre : le compte est bon. Le doublage - l'enterrement, devrait-on dire - des murs latéraux réduit le volume en largeur de façon significative. Cela pose un problème insoluble pour le plafond et son décor. Enfin, le choix d'un écran panoramique oblige à redessiner totalement la paroi du fond de la salle : la composition verticale, avec ses deux pans coupés ornés de claustra, s'efface pour permettre une vision en largeur - ceci au prix d'un artifice de composition repoussant les pans coupés du cadre de scène sur les murs latéraux. Bref, je tronçonne devant et derrière, j’aplatis les niveaux, je baisse le plafond, je resserre de chaque côté, j'écrase le mur de l'écran pour le mettre dans l'autre  sens. Et après, je fais ce que je peux pour que la copie des décors authentiques entre dans ce cadre totalement différent. Il n'est pas facile de transformer une Espace en Twingo. Le résultat sera à la hauteur de cette ambition irréaliste. (voir sur le site Controverse sur la réhabilitation du Louxor des plans et photos qui permettent de mieux comprendre les propos de François Loyer nldr)

    Et là, je ne parle pas de ce qui va arriver au décor pour entrer dans cette boîte sans rapport avec l'ancienne. Les spécialistes de l'histoire du décor n'ignorent pas les contorsions des menuisiers décorateurs pour adapter les lambris Louis XV des grands hôtels parisiens aux  appartements bourgeois du XIXe siècle. De tronçonnements en ajouts plus ou moins fidèles, bien peu sont ceux qui ont survécu à une telle opération. Encore conservait-on le décor sculpté initial, quitte à le découper. Ici, ce n'est même plus l'original qu'on aura sous les yeux, mais sa copie plus ou moins crédible (couleur, dessin, rythme, qualité du trait...) "adaptée" à un nouveau cadre très différent de l'ancien. Pour reprendre la métaphore automobile, mettre un radiateur de Roll's Royce sur une 2CV n'en fait pas une voiture de luxe...

    paris,culture,patrimoine,louxor,cinémaTout, dans cette entreprise, va sentir le faux. Allez voir, à la banque de France, la galerie dorée de l'ancien hôtel de la Vrillière, reconstituée en 1865 par Gabriel Crétin et ornée de copies des tableaux originaux du Guerchin, Pierre de Cortone ou Guido Reni. Vous vous enfuirez aussitôt pour retourner au Louvre dans la Galerie d'Apollon, dont les peintures sont restées à la hauteur du décor. Ce n'est pas pour rien que les historiens de l'art s'attachent à l'authenticité des œuvres.
    Sévère, je le suis. Mais c'est mon métier - et ma responsabilité vis-à-vis des générations à venir.  Donc, je ne mens pas. De compromis en compromis, certains avant nous sont arrivés à une forme de collaboration qui n'a pas vraiment laissé bon souvenir. Tant pis si on a l'allure d'un Saint-Just. Il y va de notre responsabilité.
  • autre postulat contestable : "Le dégagement des peintures d’origine sous les couches superposées de revêtements divers (crépi noir, moquette, miroirs collés…) aurait dû se faire centimètre par centimètre. Sur une telle surface, c’était irréaliste et les coûts faramineux. D’autant qu’il s’agit de peintures au pochoir dont les motifs se répètent., De même le plafond n’a pas pu être dégagé totalement car il partait en morceaux." On aurait pu, si on l'avait voulu, se donner les moyens de la conservation de l'original et de sa mise en valeur. Encore aurait-il fallu budgéter le projet et en comparer le coût avec l'énormité de l'investissement lié à la reconstruction qui a été retenue. On aurait vu alors si l'ambition de conserver l'original était réellement hors de portée ;
  • autre bel exemple d'hypocrisie sémantique : "Et tout sera conservé ? Oui. Notre approche vis-à-vis des décors peints a été de conserver les décors dans leur totalité (sauf de rares exceptions), de les documenter, et de les valoriser chaque fois que les solutions techniques et spatiales le permettent, ou, à défaut, de les reproduire à l’identique." On ne peut pas à la fois affirmer que les décors seront conservés dans leur totalité et avouer qu'à défaut, ils seront reproduits à l'identique.  C'est l'un ou c'est l'autre : conservation ou reproduction - qui plus est, sur un nouveau support. Depuis l'origine, la stratégie de communication de la Ville est de confondre volontairement restauration et restitution pour faire croire qu'il s'agit d'une sauvegarde alors que c'est une reconstruction faisant fi de l'original. La restauratrice n'a plus qu'à reprendre les thèmes qui lui ont été dictés par le commanditaire, en l’occurrence la Ville de Paris.

 

On peut noter que la restauratrice mentionne les hiéroglyphes du plafond en exprimant son incertitude. Le rétrécissement provoqué de la salle sur les côtés force l'équipe de maîtrise d'œuvre à couper les extrémités des poutres, poutres  peintes avec des hiéroglyphes qui compartiment de façon régulière le plafond. Par nature, les hiéroglyphes sont difficilement réalisables au pochoir (cf. supra) car succession d'éléments différents, illustrant une histoire. Les faces intérieures dégagées du linteau sont modifiées dans leur proportions et il serait intéressant de savoir ce que racontent ces hiéroglyphes très bien conservés et peints à la main qui décorent l’ensemble des poutres et scandent les caissons du plafond régulièrement, y compris autour de  l'arrivée de la lumière venant du haut de la grande salle du Louxor.

La restauratrice des peintures ne fait pas allusion aux magnifiques stucs formant tout le registre du soubassement des décors, le stuc n'est certes pas une peinture ... Les stucs qui seront enterrés sont-ils reconstitués ? Poser la question, c’est déjà y répondre.

D'autre part, la reprise en sous œuvre de la seconde paroi qui va désormais réduire les proportions de la grande salle, seconde paroi qui sert de support à une copie des décors, n'est absolument pas réversible. Elle est fondée sur des micro pieux très profonds. Il sera impossible de revoir un jour ces décors enterrés par ce projet  pour les siècles et des siècles.

Réjouissons-nous toutefois de constater que, le temps passant, il est de moins en moins question de produire un décor "contemporain" plus ou moins librement inspiré du néo-égyptien Art déco. A force de regarder le décor d'origine, sa valeur s'est peu à peu imposée, au point qu'on tente aujourd'hui d'en proposer un fac-similé à demi crédible pour faire oublier l'erreur de choix qui a été celui de la démolition/reconstruction.

Commentaires

  • Madame, Monsieur,
    Nouvelle, je prends connaissance de votre message. Je suis voisine et m'interroge.
    Que faut-il faire alors ? Arrêter le chantier ? Protester ? Avez-vous entrepris quelque chose pour empêcher cela ? Pourquoi cela se fait-il ainsi ?
    Bien sincèrement.
    JOSETTE

  • @Josette : cliquez sur la rubrique Louxor et vous saurez tout ! Nombreux liens en marge de droite...
    Bonne lecture.

Les commentaires sont fermés.