A la suite de notre article sur Gervaise et la Goutte d'Or, un de nos adhérents et fidèle lecteur nous a écrit. Voici son message .... Nous le remercions pour ces pages relatives à la Goutte d'Or qu'il nous a fait connaître.
« Les quelques lignes que je vous soumets (voir transcription ci-dessous) relatives à la rue de la Charbonnière et aux parages de celle-ci (jusqu'au boulevard de la Chapelle) donnent pourtant à voir une misère et des problèmes sociaux guère différents de l'évocation de Zola. Nous sommes pourtant vers 1910 et les auteurs (Léon et Maurice Bonneff, écrivains "prolétariens", auxquels je suis apparenté) enquêtent sur les ravages de l'acoolisme, y compris ce que nous appellerions l'"alcoolisme mondain". Ils dénoncent en particulier les cabaretiers, "mastroquets" et autres débiteurs de boissons, qui assujettissent leur clientèle ouvrière par l'alccol et la dette (ces enquêtes très détaillées ont paru sous le titre "Marchands de folie", Ed. Marcel Rivière & Cie, Paris, 1913, 186 p.).
Les frères Bonneff (tous deux "morts au champ d'honneur", en 1914) sont les auteurs de nombreux articles journalistiques (dans La Depêche du Midi, l'Humanité de Jaurès, etc.) et d'enquêtes sur la classe ouvrière et les "métiers qui tuent", parues en volumes; également de romans et piécettes de théâtre. »
L'arrière-Boutique
La rue de la Charbonnière commence boulevard de la Chapelle et se termine rue de la Goutte d'Or. La première partie, du n°1 au n°17 et du n°2 au 20, n'offre rien de remarquable. Mais dans la seconde section, le passant constate avec surprise que la grande majorité des maisons, pour ne pas dire toutes, sont occupées par des débits et des hôtels.
Derrière les vitres, devant les comptoirs, des filles postées qui cognent au carreau pour appeler les passants. Jadis, les trottoirs étaient infestés par les malheureuses : une plainte des habitants eut pour effet de leur interdire le stationnement sur la voie publique. Alors les cafés les recueillirent et les arrières-boutiques servirent d'alcôves. Dans ce quartier populeux, à proximité des grandes voies qui mènent à Clignancourt, à la Villette, au faubourg Saint-Denis, aux deux gares, les louches débits attirent les jeunes ouvriers. Ils trinquent avec les filles, et, de même que le mastroquet des Halles, ne loge sa clientèle que si elle absorbe au préalable absinthe et cognac, le cabaretier proxénète n'abrite les amours des passants que s'ils payent une contribution en petits verres. Jour et nuit, la maison distribue l'alcool et les plaisirs frelatés.
Le soir, la rue de la Charbonnière, qui dans Paris n'a pas sa pareille, devient le rendez-vous des malandrins. A la lueur d'une lampe à pétrole qui fume dans l'estaminet, on aperçoit les filles et leurs protecteurs. Le samedi les bals-musettes reçoivent leurs habitués. Et c'est là que parfois la police opère des arrestations. Il n'est point rare qu'au milieu d'une danse la salle soit envahie par les inspecteurs, qui imposent silence aux musiciens de l'orchestre, enjoignent aux assistants de lever les mains – ceci pour échapper aux agressions de la bande – et appréhendent les hommes dont ils ont le signalement. Dans ce quartier où le commerce des vins prédomine, ce ne sont point seulement les marchands de charbon, les hôteliers, les épiciers, les buralistes, qui vendent l'alcool en importante quantité, mais aussi les maîtres de lavoir, qui tiennent cantine. Ils ont la clientèle des ménagères, blanchisseuses et repasseuses qui choquent le petit verre d'alcool avec les couleurs de lessive. Le bon marché du produit : deux ou trois sous le verre d'eau-de-vie, favorise la consommation. Rues de la Goutte-d'Or, de Chartres, boulevard de la Chapelle, les estaminets ne sont pas rares qui ressemblent à ceux de la rue de la Charbonnière. Un loueur de voitures tient un débit pour les marchandes des quatre saisons. Le matin, quand elles viennent chercher leur véhicule, le soir, quand elles le remisent, elles peuvent déguster les apétitifs dans la maison. Et tous les comptes se règlent sur le zinc, devant des consommations variées.
Dans le fac simile édité en 1978 par Hachette du Guide Parisien d'Adolphe Joanne (édition 1863), on peut lire la description un brin méprisante ci-après :
Marchands de vin - Liquoristes
Nous n'avons rien à dire des marchands de vin, sinon que leurs établissements ne sont guère fréquentés que par les ouvriers, les commissionnaires et les cochers. On comptait avant l'annexion (1860 ndlr), plus de 4000 cabaretiers et marchands de vin au détail; ce nombre c'est certainement accru dans une très forte proportion depuis l'agrandissement de Paris.
Les liquoristes chez lesquels il n'est pas de très-bon goût d'entrer, vendent au détail des fruits à l'eau de vie, des liqueurs, de l'eau de vie, du rhum, de l'absinthe, etc. La principale maison de ce genre est celle de la Mère Moreaux, place de l'Ecole, 4.