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Delanoë : de l’audace ou du culot ?

La sortie du livre du Maire de Paris De l’audace ! et la publication de bonnes feuilles de l’ouvrage dans le Nouvel Obs, celles où Bertrand Delanoë s’affirme « libéral et socialiste » remet Paris au coeur du débat politique national, ce qui n’était plus le cas depuis l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République en 1995. Cela nous permet aussi de rafraîchir notre mémoire sur les différentes idées auxquelles il est fait référence (libéralisme et socialisme) pour en apprécier la compatibilité.

Certes, comparaison n’est pas raison, mais le « libéral et socialiste » de Bertrand Delanoë fait penser au « juif et catholique » de l’ancien cardinal, archevêque de Paris, Jean Marie Lustiger. Il n’est que de visiter le ghetto juif de Séville et de s’informer de ce que la reine d’Espagne Isabelle la Catholique a fait subir aux populations juives d’une part, ou bien de regarder le comportement contestable de Rome pendant le nazisme d’autre part pour se demander si il y a vraiment compatibilité entre judaïsme et catholicisme. Les excuses présentées par le pape Jean Paul II aux Juifs prouvent, s’il en était besoin, que le problème fut réel et les bonnes relations actuelles entre Catholiques et Juifs, si elles ont permis à Mgr Lustiger de faire son raccourci audacieux, ne permettent néanmoins pas de considérer que les deux religions sont compatibles, sauf à faire table rase des souffrances endurées par les Juifs et tomber dans un raccourci simplificateur du genre « le Christ n’était–il pas lui-même Juif ? ».

Dans cette optique, regardons si le raccourci « libéral et socialiste » du Maire de Paris tient la route ?

Le sociologue Edgar Morin a donné dès 1976 une très bonne définition du Parti socialiste.  Parlant de Mai 68, des gauchistes, du Parti communiste, il dit : «  A l’intérieur du Parti communiste, l’hémorragie ne s’est pas arrêtée, beaucoup, au bout d’un certain temps, trouvent lamentable la liturgie ou effrayant l’appareil, et s’en vont. Alors le parti Socialiste est tout prêt, avec son renouveau mitterrandisé, et comme un aimant il attire la limaille d’un peu partout, et notamment la limaille gauchiste. » On trouve déjà là tous les ingrédients qui expliquent la situation actuelle du PS et des socialistes français en général : la victoire de 1981 due à la génération issue de 68, l’exercice du pouvoir pendant 10 longues années avec François Mitterrand puis « l’accident » de 1997 qui voit la vieille garde socialiste revenir au pouvoir suite aux erreurs de Jacques Chirac, ont empêché les socialistes de réfléchir à l’évolution de leur corpus politique comme l’ont fait les travaillistes britanniques par exemple et la composante gauchiste (Lionel Jospin n’a-t-il pas fréquenté ce milieu dans sa jeunesse) leur a fait rejeter la fameuse troisième voie socialiste proposée en son temps par le trio Clinton-Blair-Schröeder pour s’accrocher à un socialisme très ancré dans les idées du 19ème siècle.

Et du 19ème siècle parlons-en. « Je suis libéral parce que j’aime la Liberté » dit Bertrand Delanoë dans son livre. Et d’en appeler aux Lumières, à Montesquieu, à Locke. Ce n’est pas être trop méchant avec le Maire de Paris que de dire que ses propos donnent dans le flou. La grande question des Lumières était elle vraiment cette recherche de la Liberté ou bien la mise à bas, par le biais de la Raison,  d’une ordre social injuste imposant une hiérarchie devenue insupportable ? Rousseau lui-même, grande figure des Lumières s’il en est, était tout sauf un libéral. Evoquer le libéralisme de Montesquieu alors que ce concept n’a vu le jour qu’au début du 19ème siècle reste hasardeux  et la référence à John Locke, si elle peut épater la galerie, n’a guère de sens dans notre contexte français si différent de ce qui s’est passé en Angleterre au 17ème siècle.

Si le libéralisme est bien la quête de la Liberté, il convient quand même de regarder ce que cela recouvre exactement. « Dans l’espèce de liberté dont nous sommes susceptibles, plus l’exercice de nos droits politiques nous laissera de temps pour nos intérêts privés, plus la liberté nous sera précieuse » nous dit un des pères du libéralisme, Benjamin Constant, au début du 19ème siècle. Ou encore : « La propriété industrielle est l’amélioration de la société toute entière, et on peut l’appeler la législatrice et la bienfaitrice du genre humain. Les gouvernements profiteront de son école parce que l’industrie a essentiellement besoin de sécurité et de garantie, l’Europe entière y gagnera parce que l’esprit commercial remplaçant l’esprit de conquête changera la haine en émulation et la rivalité en concurrence » nous dit Constant. La séparation faite entre libéralisme politique et libéralisme économique, si souvent revendiquée par les hommes politiques actuels, apparaît clairement comme artificielle. D’ailleurs, un des grands défenseurs du libéralisme n’a-t-il pas été l’économiste Jean Baptiste Say, disciple d’Adam Smith. L’arrivée au pouvoir des libéraux de l’époque lors des journées de juillet 1830 et la politique suivie par Louis Philippe et ses sbires en dit également long sur le sujet.

Bien sûr, il nous faut relativiser tout cela. Ne pas regarder les idées émises ou les actions lancées dans le contexte politique des années de la Restauration ou de la Monarchie de Juillet comme d’actualité, mais les mots ont un sens. Le libéralisme a toujours été avant tout le défenseur de la propriété, la liberté n’étant en vérité qu’un moyen pour «optimiser » cette dernière. Pour employer une expression un peu défraîchie : le libéralisme est bourgeois.  Les socialistes du 19ème siècle ne s’y sont pas trompés.

Dans le contexte culturel et politique français où l’égalité prime sur la liberté, dans un monde où l’économie a pris le pas sur tout le reste, où le collectif est abandonné au profit de l’individuel, l’utilisation des mots socialiste et libéral par Bertrand Delanoë aurait eu besoin d’un sérieux coup de jeune dans leur définition avant que d’être lâchés et on voit bien que ce grand écart n’a d’autre but que d’essayer de regrouper sous le même toit des personnes aux sensibilités pourtant incompatibles. Il montre aussi en creux la difficulté actuelle des socialistes à s’adapter au monde moderne, utilisant des termes et des concepts du passé pour parler de l’avenir.

Commentaires

  • Alors le camarade delanoë donne dans le déviationnisme petit bourgeois?

    Si on prend la peine de parcourir le nouvel obs, il n'est effectivement question que de liberté politique (question tranchée par le congrès de Tours en 1920 qui n'appelait pas nécessairement au secours) et de liberté émancipatrice (le droit à l'avortement, et les revendications actuelles, pas très problématiques non plus au sein du PS). De la question qui fâche (et que finalement plus personne ne comprend), le libéralisme économique, il n'est pas fait mention. Au final, donc, et sauf à ce que le contenu du livre soit différent, rien de très particulier ni de distinctif. Sinon l'audace... de vocabulaire.

  • De l’audace il en faut à B. Delanoë pour s’affirmer « libéral et socialiste » ! Remarquons au passage, que le terme « libéral » est mentionné un premier, pour un dirigeant « socialiste », c’est révélateur !
    Le titre du livre du Maire de Paris est un oxymoron utilisé à des fins stylistiques. Cette alliance incompatible est dans la droite ligne des principes (21 articles) adoptésen avril dernier, par la direction (tous courants) du PS . Morceaux choisis article 1: « Etre socialiste, c’est ne pas se satisfaire du monde tel qu’il est. L’idée socialiste relève, à la fois, d’une révolte contre les injustices et de l’espérance pour une vie meilleure. Le but de l’action socialiste est l’émancipation complète de la personne humaine et la sauvegarde de la planète. » L’idée socialiste ne se définit pas par : « La révolte contre les injustices et l’espérance pour une vie meilleure ». Nous sommes dans une définition à caractère syndicaliste.
    L’article 13 « Le Parti socialiste est un parti réformiste. » pour certains observateurs et/ou commentateurs cela serait une « révélation » voire un nouveau corpus politique.
    Que le PS ait abandonné l’idéal « révolutionnaire », cela n’est pas nouveau ! Mais, est-il pour autant toujours réformiste ? Dans l’art 6 : « (…) Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, des services publics de qualité, un tiers secteur d'économie sociale. » Réformistes ou révolutionnaires s’accordent au moins sur un principe fondamental: « la société est divisée en classes sociales aux intérêts contradictoires ». Dans le nouveau texte fondateur, il n’est plus fait mention au point (relire précédents principes) « des oppositions des classes ». Pour les dirigeants du PS , il n’y a donc plus d’opposition de classes et donc plus de classes antagonistes . En conséquence, l’art 6 pourrait figurer dans les principes du parti de la démocratie chrétienne. C’est la main tendue au démocrate chrétien (centristes )?
    Cependant sur quelques points , le PS reste encore entre « deux eaux ». M. Valls est le plus à la pointe dans la transformation du PS. Le député de l’Essonne, suggère de changer de nom. Compte tenu des nouveaux principes et de la tendance défendue à la fois par Delanoë /Royal/Jospin , il a raison.
    Illustration de la transformation du PS par V. Peillon. Dans son livre "Il faudra savoir être courageux pour faire des réformes" l’ex NPS répond à la question : « Le PS, dans sa nouvelle déclaration de principes, souligne pour la première fois la nécessité de créer un secteur privé dynamique. Des tabous tombent à gauche ? «
    R : « Nous étions paralysés intellectuellement, souvent d’ailleurs dans l’ignorance de nos propres traditions, entre Tocqueville et Marx, entre l’individu et l’Etat, entre la liberté et l’égalité. Alors que toute la tradition républicaine visait à concilier les deux. Enfin, nous avons une déclaration de principes qui renoue avec la grande pensée de Jaurès, la grande pensée républicaine de 1848 qui dit que ce sont de fausses oppositions. (...) Pour distribuer de la richesse, il faut d’abord en produire un peu. Et donc la question de l’initiative, de la capacité qui est la nôtre à jouer notre rôle dans la compétitivité internationale est déterminante surtout lorsque l’on veut, en plus, être généreux. »
    Fausses oppositions ! qui détient les moyens de production ? Qui porduit des richesses ?
    Déformer la pensée de J. Jaurès pour justifier sa politique de reptation, quelle honte !
    Vous évoquez l’arrivée dans les années 80, de militants issus de la mouvance « gauchiste ».
    L’entrisme au sein du PS a toujours été préconisé par les trotskistes. Malgré l’entrisme sui generis de L.Jospin et l’arrivée des Dray, Cambadélis, Mélanchon, Filoche, Weber etc, le PS n’a pas changé de nature.
    Le Parti Socialiste est et reste un parti d’élus. Après le congrès de Reims et , quel que soit le nom du 1er secrétaire, la tendance est claire la voie est tracée. En conséquence, nombre de militants cherchent ( vont chercher) les voies et les moyens de s’opposer à la liquidation du P.S. comme parti véritablement réformateur.
    Affaire à suivre …

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