Web
Analytics

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

libéralisme

  • Les voyages en avion low cost critiqués dans la presse suédoise

    Puisque nous parlons ici de cartes postales et de vacances, en alternance avec des sujets plus sérieux, il ne vous paraîtra pas incongru de pousser jusqu'au mode de déplacement. Nous lisions le week end dernier dans la sélection d'articles européens fait par PressEurop un article paru dans SYDSVENSKAN de Malmö le 9 août, une critique bien sentie et bien argmentée de la compagnie low cost Ryanair.

    Pour ceux qui prennent plaisir à lire les anecdotes de voyage, fussent-elles d'un humour grinçant, qu'ils cherchent aussi dans la page de PressEurop les articles du Monde intitulés "L'Europe selon Ryanair", ils sont au nombre de trois et en libre lecture. Ils compléteront le témoignage du journaliste suédois. Du côté du respect du code du travail et des salariés, ce n'est pas mieux... voir l'article de l'Expansion/Express il y a quelques mois.

    727789_un-avion-de-ryanair-sur-le-tarmac-de-l-aeroport-de-marseille-marignane-le-28-septembre-2010.jpg

    A bas le low cost à tout prix !   par Per Svensson

    C'est en français, rassurez-vous, pour les amateurs de suédois, voici le lien vers la version d'origine : ici


     

    " Sous la houlette de son fantasque dirigeant, Ryanair multiplie les coups bas pour devancer ses concurrents. Or ce modèle commercial nous ramène au capitalisme sauvage du XIXe siècle, s’insurge le journaliste Per Svensson, qui déplore le peu de mobilisation contre ces pratiques. "

    " Qu’ont en commun Michael O’Leary [le patron de Ryanair] et l’Oncle Picsou ? Tous deux sont riches à millions. Qu’est-ce qui les distingue ? Picsou a bâti sa fortune sur sa propre pingrerie, Michael O’Leary sur celle des autres.

    Bien que Michael O’Leary ait déclaré vouloir créer des places debout dans ses avions et y rendre les séjours aux toilettes payants, Ryanair est aujourd’hui la première compagnie aérienne d’Europe en termes de fréquentation, avec 80 millions de passagers par an. C’est aussi, en dépit d’un léger repli au dernier trimestre, une entreprise particulièrement rentable.

    Sur le dernier exercice (2012-2013), Ryanair a réalisé un chiffre d’affaires de 4,9 milliards d’euros, avec un bénéfice en hausse d’un peu plus de 11 %, soit 569 millions d’euros. Des chiffres que l’on peut mettre en parallèle avec ceux de Lufthansa, par exemple, qui a annoncé un peu plus de 3 % de bénéfices sur l’exercice 2012, soit 990 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires net de 30 milliards. Lufthansa doit donc embarquer six fois plus de passagers que Ryanair pour gagner à peine le double. Autrement dit, deux euros Ryanair valent plus que six euros Lufthansa.

    Ryanair devient la norme

    Comment cela s’explique-t-il ? Lowest cost always wins” [les coûts les moins élevés l’emportent toujours], répondait Michael O’Leary lors d’une conférence de presse donnée à Göteborg à l’automne dernier. C’est la doctrine constitutive du capitalisme mondial, fondée sur l’idée que, sur un marché devenu planétaire, le prix passe toujours avant la qualité. Et que, pour être moins cher que la concurrence, il faut avoir des coûts inférieurs.

    Michael O’Leary est également le parfait reflet de son époque à un autre point de vue : il semble taillé pour un univers médiatique qui aime les méchants charismatiques et "tweetable". Il "fait buzz" en permanence et aime à poser au milieu de demoiselles en bikini. Cet objectif peut être atteint de plusieurs manières. Le modèle commercial de Ryanair se fonde sur le principe du “bad enough” : le traitement réservé aux employés et aux passagers doit être suffisamment mauvais pour que le prix du billet soit suffisamment bas pour que les clients acceptent non seulement d’être traités comme de vieilles chaussettes, mais se fichent également éperdument de savoir que les employés de la société sont encore plus mal traités qu’eux. Le fait que Ryanair soit une entreprise qui malmène à la fois son personnel et ses passagers n’est pas un scoop.

    Ryanair n’est ni une jeune entreprise prodige, ni une brebis galeuse, ni une exception qui viendrait confirmer la règle. Ryanair est, ou est en passe de devenir, la norme ; une des illustrations les plus frappantes d’un vaste changement de paradigme.

    Le modèle social européen dans lequel j’ai grandi, où le marché de l’emploi et la vie économique sont caractérisés par la concertation, l’équilibre des pouvoirs et la répartition des richesses, est en net recul. Le 20e siècle est définitivement derrière nous. A la place, nous allons bientôt revenir au 19e siècle : le capitalisme sauvage, le rejet du syndicalisme, le dumping salarial, l’exploitation des travailleurs. Et Ryanair ouvre la voie.

    Je n’ai jamais pris de vol Ryanair. Et je ne le ferai jamais, sous aucun prétexte. Non seulement parce que je préfère voyager comme un être civilisé, mais aussi parce que, étant libéral, je considère que l’on doit essayer, autant que faire se peut, d’être politiquement et moralement responsable de son mode de consommation, d’exercer son pouvoir de consommateur, tout simplement.

    Contre la néandertalisation de l’Economie

    Quatre-vingts millions de passagers peuvent-ils avoir tort ? Oui. Et je m’étonne qu’ils ne soient pas plus nombreux à en prendre conscience. Autant que je sache, bon nombre de passagers Ryanair sont des jeunes gens instruits et sensibles aux thématiques sociales. Certains d’entre eux renoncent à consommer des produits carnés pour protester contre l’industrie de la viande.

    D’autres, assez nombreux j’imagine, boycottent les artistes qui ne respectent pas les femmes ou tiennent des propos racistes. Pourtant, ils voyagent sur Ryanair – alors que Ryanair n’est pas seulement une honte en soi. Du fait même de son existence, elle oblige les compagnies sérieuses à s’adapter à ce que l’on appelle "une situation de concurrence inédite", autrement dit les oblige à devenir brutales à leur tour ou à disparaître.

     Il est donc difficile de comprendre comment quelqu’un qui se dit “de gauche” peut faire la queue devant un guichet Ryanair sans rougir. Dans l’histoire récente, aucune autre entreprise n’a, à la fois directement et indirectement – par la force de l’exemple – autant contribué à saper les fondements sociaux que la “gauche” prétend vouloir défendre et qui constituent le socle sur lequel les sociétés prospères d’Europe de l’Ouest se sont érigées après-guerre : la sécurité au travail, la décence des salaires, la solidarité mutuelle entre les employés et leur entreprise, et ainsi de suite…

    Pourquoi la question n’est-elle pas soulevée plus souvent par les intellectuels ? Pourquoi le cas Ryanair ne fait-il l’objet d’aucun débat de fond ? Pourquoi la gauche suédoise contemporaine se préoccupe-t-elle si peu de l’économie et de la violence de certains rapports de force ?

    Comment se fait-il, pour parler concrètement, que Lilla Hjärtat [personnage de la littérature jeunesse suédoise jugé raciste] et le changement d’une voyelle dans les pronoms personnels [le pronom neutre “hen” a été proposé pour remplacer le féminin “hon” (elle) et le masculin “han” (il)] soient des thèmes de débat plus mobilisateurs en Suède que Michael O’Leary et la néandertalisation de la vie économique ? "

     

    Traduction : Jean-Baptiste Bor