La naissance du jardin place de l'Assommoir a vu le jour en mars 2020, en plein confinement.
Nous étions à cette date contraints de rester enfermés chez nous, le temps s'était arrêté.
De ma fenêtre, je regardais souvent cette place qui, deux jours auparavant, était un espace public et s'était soudainement muée en désert urbain.
À force de scruter le silence du vide, j'aperçus autour d'un pied d'arbre un ailante glanduleux qui essayait de se frayer un chemin entre les interstices d'une plaque de fonte.
Voyant qu'à terme ce jeune arbre ne pourrait se développer, je décidai de le libérer en enlevant la plaque de fonte.
Chose faite, je découvris une terre sèche et dure, tassée par les années, qui avait pris par mimétisme la couleur grise du béton environnant.
Je décidai de lui redonner, à elle aussi, une chance de renaître après tant d'années d'emprisonnement.
J'y plantai de multiples graines : un jasmin, des tulipes, un avocatier, des iris, si bien qu'au printemps venu, ce carré devint la curiosité du quartier.
Entre deux confinements, beaucoup de personnes sont venues m'encourager à continuer, tandis que d'autres m'ont dissuadé, prétextant que le quartier était trop difficile pour que survive l'idée même d'apporter du beau sur cette sinistre place.
Obstiné par l'idée de changement, je n'écoutais que les encouragements, si bien que mon carré devint une curiosité tant les fleurs étaient belles et épanouies.
Une personne que j'avais l'habitude de voir dans le quartier promenant son chien depuis de nombreuses années, sans avoir échangé quelques mots durant tout ce temps, est venue me parler de ce carré de verdure.
À la vue de son intérêt, je compris que je devais lui proposer le carré du pied d'arbre à côté du mien, afin qu'il puisse lui aussi exprimer son envie du beau.
Il prit la nuit pour réfléchir et en parler à son épouse.
Le lendemain, il revint avec la bonne nouvelle : il avait reçu l'approbation de son épouse et était lui aussi prêt à s'engager dans cette aventure végétale.
Il fut le deuxième à s'être engagé, puis très vite une troisième personne vint nous voir avec le même désir de travailler la terre avec nous, puis une quatrième, puis une cinquième, si bien que nous nous retrouvâmes dix à cultiver tous les pieds d'arbres sur cette place.
Devant un tel engouement, nous avons très vite manqué d'espace cultivable et avons décidé de créer des jardinières supplémentaires à base de palettes découpées.
Nous gagnâmes ainsi quelque vingt à trente mètres carrés supplémentaires.
Cette place devint très vite un jardin luxuriant tant l'énergie collective fut forte en ces temps troublés par la pandémie.
Évidemment, ce jardin ne s'est pas fait tout seul, comme dans un rêve éveillé.
Quelques points difficiles ont émergé très rapidement dans ce changement notoire de paradigme, notamment la question de l'inclusion ou de l'exclusion d'un point de deal situé depuis longtemps au quatrième angle que constitue le carré de cette place.
Nous avons choisi l'inclusion et avons proposé aux dealers locaux de participer au jardin.
Nous avons été étonnés de voir comment la méfiance s'est transformée en bienveillance.
Ils se sont aussi intégrés à ce processus de végétalisation et nous ont aidés à faire le jardin avec les habitants du quartier.
Fort de ce succès, le jardin a aujourd'hui reçu la bénédiction de Monsieur le maire Éric Lejoindre et de ses élus, si bien que la municipalité a décidé de dépaver la place et d'apporter en son centre l'eau nécessaire à son arrosage.
Aujourd'hui, le jardin est composé d'une cinquantaine de jardinières, d'un groupe WhatsApp qui informe sur son actualité et d'un compte Instagram avec bon nombre de followers.
Aujourd'hui plus qu'hier, ce jardin expérimental suscite beaucoup d'intérêt auprès des universités telles que Sciences Po, Paris Nanterre, l'École d'architecture de la Villette ou Olivier de Serres, notamment pour la question de ce que pourrait être la ville de demain dans des zones prioritaires, intégrant les notions de changement climatique et de migration, mais aussi et surtout comme terrain de sensibilisation.
pour le jardin de l'Assommoir
Philippe Calandre octobre 2025