Paris Neuvième aime l’Histoire. Non pas pour se complaire dans la nostalgie mais parce que celle-ci nous permet de mieux comprendre le temps présent. Notre arrondissement est l’un des plus riches de Paris en la matière et il nous a semblé intéressant d’ouvrir une rubrique spéciale de manière à vous présenter des lieux peu connus du 9ème, la littérature ne manquant pas pour les grands classiques que sont par exemple l’église Notre Dame de Lorette, l’hôtel Dosne Thiers place Saint Georges ou encore l’hôtel Aguado aujourd’hui Mairie du 9ème rue Drouot.
Bernard Vassor, habitant du 9ème bien sûr, et historien dans l’âme a bien voulu accepter de nous aider pour tenir cette rubrique. Cet ancien libraire, chercheur indépendant, a déjà organisé pas mal de manifestations historiques et écrit beaucoup d’articles très documentés sur notre arrondissement. Bernard Vassor est pour nous gage de qualité dans les informations que nous diffusons et nous le remercions chaleureusement de son soutien.
Et comme ces petits articles seront aussi une incitation à la promenade dans notre arrondissement, nous les publierons de préférence le Vendredi ou le Samedi.
Le café La Rochefoucauld (le « La Roche » pour les habitués)
par Bernard Vassor
Aujourd’hui portant le nom de « La Joconde », ce café est un endroit historique à bien des égards.
Le « La Rochefoucauld » est situé à l’angle de la rue du même nom et de la rue Notre Dame de Lorette. En ce milieu de XIXème siècle, il est surtout fréquenté surtout par les peintres dits « académiques » et reçoit tous les jours à l’heure de l’apéritif tout ce qui compte à Paris d’artistes convenables … contrairement au café « Guerbois », 7 chemin des Batignolles (avenue de Clichy) et à « La Nouvelle Athènes » 9 place Pigalle, fréquentés eux par ceux que l’on nommera plus tard « les intransigeants », « les communards» puis par dérision « les impressionnistes ».
Ecrivains et plasticiens se confrontent, se brouillent, se réconcilient devant un bock, une absinthe ou un verre de vin. Degas, intime de Gustave Moreau pendant sa jeunesse puis longtemps fâché avec lui, renouera des relations orageuses au « La Roche » avec son vieil ami.
Le peintre Gervex rapportera la discutions suivante :
- « Mon cher Degas, vous avez la prétention de renouveler la peinture avec des contrebasses et des danseuses » déclare Moreau.
- « Non mon cher, pas plus que vous avec vos Christs montés en épingle de cravates ».
On peut y rencontrer Henri Dumont qui épousera Ellen André modèle de Manet, Forain, Renoir, Alfred Stévens, et les artistes célèbres de l’époque : Henner, Cormon « le père La Rotule » et l’ancêtre Harpignies. Les frères Goncourt, le peintre Guillemet, Maupassant, qui a été introduit dans l’endroit par William Busnach l’adaptateur de Zola au théâtre, figurent parmi les plus assidus.
Le soir, Adolphe Goupil le marchand de tableaux associé de la famille Van Gogh en voisin de la rue Chaptal, vient prendre son dîner en compagnie de son gendre Léon Gérome (peintre).
Après la fermeture du Divan Le Peletier (situé à l’angle du boulevard des Italiens et du passage de l’Opéra) selon les frères Goncourt, les représentants de « la basse bohème » vont établir leur quartier au « La Roche ».
Manet, Baudelaire, le commandant Lejosne, l’émeutier de juin 48, Poulet-Malassis l’éditeur des « Fleurs du Mal », toujours flanqué d’Alfred Delveau l’historiographe des bas-fonds, auteur d’un dictionnaire d’argot. Henri Murger à l’heure de l’absinthe et bien sur Aurélien Scholl journaliste, critique et le polémiste le plus redouté, les philosophes Fioupiou et Saisset complètent la clientèle de ce « petit mauvais lieu fort bête, qui sont aux lettres ce que sont les courtiers d’un journal au journal » (Journal des Goncourt).
Bien sûr l’ambiance a changé de nos jours. L’endroit vient d’être repris pas un couple sympathique et on peut y aller boire un verre et rêver sans nostalgie.
Sources :
Antonin Proust, la Revue Blanche, livraisons de février à mai 1897
Henri Gervex, Revue du Louvre, octobre 1937
Archives de Paris, D1P4/
Journal des Goncourt
Souvenirs de Ph.Audebrand, Alfred Delveau, Virmaitre etc…
Le "La Roche" aujourd'hui "La Joconde"
57, rue Notre Dame de Lorette
Commentaires
Merci c'est très intéressant.
au sujet de ce café, on peut peut-être laisser le dernier mot à Jacques Roubaud qui lui a consacré un poème:
célé
célé
brons la Joconde
lajocondedemérou
(extrait de: La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le coeur des humains)